31 janvier 2015

Sauvons le digital français !

Mon confrère Pierre constate que la France décroche au sujet du numérique. Outre le fait que nous n’ayons presque aucun acteur majeur dans le domaine, les Français sont à la ramasse, pour ce qui concerne l’usage, y compris en entreprise. Il conclut : « On a un souci moyenâgeux ici. Comment avancer ? » Essayons d’apporter quelques réponses.

Mais avant le « comment », il faut brièvement s’interroger sur le « pourquoi ? » parce que, en effet, on pourrait s’en foutre ! Il y a évidemment la question des usages et ce qu’ils apportent. Par exemple, il m’est insupportable de voir ma commune diffuser un magazine mensuel alors que les habitants de la ville pourraient avoir les informations en temps réel sur le web. On économiserait une fortune, sauvegarderait l’environnement, tout en ayant un meilleur service… Surtout, le numérique permet de faire de grosses économies en entreprise et de gagner des parts de marché. Si on ne relève pas la tête, on va se retrouver écarter de l’économie mondiale.

Alors que faire ? Je n’entends pas apporter de solution miracle, d’autres auraient eu les idées avant moi et on y serait déjà.

Petit 1 : supprimer toutes les subventions publiques aux influenceurs du web et les structures publiques dans le domaine, comme le Conseil National du Numérique. Vous allez me dire que c’est très libéral comme mesure ce qui la fout mal pour un blogueur politique de gauche. Certes ! Mais je vous rappelle, sacripants, que le CNN a été créé par Nicolas Sarkozy. C’est bien la France, ça ! On ne sait pas quoi faire sur un dossier, on crée une commission, un conseil,…

Je ne fais pas cette proposition méchamment. Tiens ! Je paierai des bières à Thieulin et Soufron pour les consoler. Prenez la liste des membres de ce machin : ce sont tous des professionnels du numérique. Ca leur confère, certes, quelques compétences pour parler du sujet mais ils ont des intérêts commerciaux dans l’affaire. Qu’ils se débrouillent sans l’Etat, qu’ils montent un syndicat, une association,… Ah ! Ca y est ! Je redeviens gauchiste !

Vous voyez l’illustration de ce billet ? C’est une copie d’écran de la dernière dépêche d’actualité sur le site du Conseil National du Numérique. Tout d’abord, le sujet : la censure par les états avec les CGU. Est-ce le rôle du CNN ? On n’a pas des ONG, des machins internationaux et des trucs comme ça pour s’occuper de la censure ? Qu’est-ce qu’un tel sujet fait traité sur un site aux couleurs de la République ? Ensuite, le contenu : il est vide. Ou presque : il reprend le titre du billet. Les lascars ont oublié d’y foutre le texte. Et ces gens-là sont payés pour donner des conseils à l’Etat sur le numérique ! C’est délirant.

Petit 2 : rendre obligatoire pour tous les patrons la lecture de mon billet d’avant-hier dénonçant un sondage payé par une boite spécialisée dans l’accompagnement au changement des salariés des entreprises et la formation qui va avec et qui démontre qu’il faut de l’accompagnement au changement et de la formation.

C’est simple, le numérique ! Par définition. Tu as fait une formation pour utiliser Facebook ? Dans la boite, on nous a collé une appli web pour poser les congés payés et déclarer les notes de frais. Tu penses bien qu’on n’a pas attendu une formation pour partir en vacances et se faire rembourser... On a cliqué sur des liens.

Plus sérieusement, il faut communiquer : le numérique, c’est simple.

Petit 3 : pour les entreprises assez grandes, il faut des salariés rattachés au grand patron et indépendants des directions informatiques (DSI) qui soient acteurs dans les décisions en matière de stratégie informatique.

Pourquoi ? Parce que les DSI sont trop grosses, avec des armadas d’andouilles qui défendent des intérêts contradictoires, qui répondent à des besoins d’autres directions de la boite sans que ces besoins soient analysés par des acteurs neutres, qui prennent des décisions en fonction des compétences qu’ils ont et pas de l’état du marché, qui sont conseillés par des fournisseurs qui veulent vendre leurs solutions ou leurs consultants, qui mettent des années à faire aboutir des projets sans intérêt stratégique, qui changent leur fusil d’épaule dès que la boite est réorganisée parce que le directeur machin a eu une idée géniale mais contradictoire avec la stratégie adoptée auparavant, qui sont incapables d’écouter la base à cause d’une hiérarchie infernale,…

Ce ne sont pas des critiques, les directeurs informatiques ne peuvent pas être au four et moulin ! L’informatique d’une entreprise est quelques chose de considérable ce qui va aller en croissant (et qui est d’ailleurs l’objet du billet).

Je vais prendre un exemple : j’ai une messagerie professionnelle depuis fin 1996. Dans les trois entreprises que j’ai faites au cours de ces 18 ans, elle est basée sur Lotus Notes et les boites y sont restées. Les mecs ont fait évoluer les serveurs, les clients (logiciels installés sur les postes de travail) et investi des fortunes dans ce tralala pour un résultat déplorable, des bugs affreux, une lourdeur d’utilisation,… Pas un seul type n’a été capable de dire : bon, les gars, on arrête, on passe à un truc de type « client léger » (comme Gmail) ! Par contre, ils ont réussi à mettre en parallèle des clients légers pour que les cadres dirigeants puissent se connecter de chez eux. Du pur délire.

Je vais prendre un autre exemple. Je fréquente plusieurs boites : la mienne, celles de clients et celles de quelques fournisseurs. Il n’y a quasiment jamais la wifi dans les parties communes, les salles de réunion,.. Du coup, on ne peut pas utiliser de tablettes, on est à la recherche de câbles pour se connecter, les visiteurs qui ne sont pas de l’entreprise ne peuvent pas accéder à internet,… Tout ça parce que les responsables de la sécurité ne veulent pas d’accès libre, parce que les DRH veulent pouvoir contrôler ce que les salariés font sur le web,… Il faut qu’un type puisse dire au grand patron : hé ho, c’est quoi ce bordel, il faut la wifi, ça coûterait quelques centaines d’euros par mois, soit beaucoup moins que le salaire des types qui sont là pour déconseiller l’installation de la wifi. Alors le grand patron appellerait son directeur informatique : tiens, je veux la wifi dans les salles de réunion, tu as un mois pour le faire. Le DI dirait alors : oui mais on ne peut pas à cause de la sécurité et des RH. Et le conseiller du patron lui soufflerait une réponse : dis donc, connard, ne me dit pas que les moyens techniques n’existent pas, pendant ce temps-là mes cadres s’envoient les documents chez eux par mail pour travailler le week-end. Ils disent quoi les RH et la sécurité ?

Je résume mon « petit 3 » : il faut que le patron d’une boite puisse prendre des décisions, c’est le seul à pouvoir court-circuiter ses sous-fifres !

Petit 4 : il faut un volet législatif parce que je suis un blogueur de gauche. Il faut une loi qui impose à toutes les entreprises, même celles avec un seul salarié en plus du patron, à pouvoir faire toutes ses démarches administratives internes à l’entreprise avec des applications web, dans un  délai de deux ans.

Je sens que vous voulez un exemple. Au bureau, on a une machine à expresso. Tous les mois, la secrétaire fait circuler une feuille pour que l’on puisse commander les capsules. Ca prend quasiment une semaine et cela coûte plusieurs heures de travail à l’entreprise pour des conneries (la feuille qui est perdue, le type qui se trompe,...) sans compter la secrétaire qui doit faire le récapitulatif et  tout ça. Deux jours après la commande, il faut qu’on fasse un chèque pour payer. Comptez : 30 types qui passent cinq minutes à aller chercher les capsules et faire un chèque tout en papotant avec la secrétaire. 30 personnes multiplié par cinq minutes et multiplié par deux pour le temps de la secrétaire. Cinq heures uniquement pour la livraison… Ne me dites pas que le fournisseur d’expresso ne pourrait pas faire un site web pour que l’on puisse se démerder.

Mais, me demanderez-vous, pourquoi une loi ? Les entreprises n’ont qu’à se démerder. C’est une excellente question que je vous remercie de m’avoir posée. Il y a deux raisons.

La première : faire sauter les barrières. Pourquoi existe-t-il toujours des tickets restaurants (l’utilisation d’une carte n’est possible que depuis moins d’un an et peu répandu) ? Parce que les sociétés qui gèrent ces machins font de la trésorerie entre le moment où elles filent les tickets aux entreprises et celui où elles payent le restaurant… Et vous imaginez ce que ça coûte à tout le monde en démarches administratives ? Le temps que le personnel des bistros passe à faire sa caisse et tout ça… A l’échelle de la France, l’impact sur le PIB ne doit pas être ridicule…

On en revient à mon petit 3 ci-dessus : si personne ne dit au big boss (le législateur dans notre cas) d’arrêter les conneries, elles continuent !

La deuxième : il faut forcer les gens à aller vers le numérique parce s’ils ne savent pas que cela existe, ils ne peuvent pas l’inventer et le mettre dans les pratiques du quotidien. Et c’est quand ils le sauront qu’ils le mettront au cœur de leur métier, qu’ils apprendront à utiliser les applications mises à disposition, que l’on pourra s’affranchir de la conduite du changement et de la formation…

Prenons une entreprise au hasard. Un bistro. Si le patron passe une demi-journée par mois à trier les chèques restaurants, les cartes oranges de ses employés, plus une demi-heure par jour à imprimer le machin avec le plat du jour, à écrire sur les ardoises,… et découvre que toutes ces tâches peuvent être exécutées en quelques secondes pour un investissement dérisoire, il imaginera rapidement tout le bien qu’il peut tirer du numérique. Vous connaissez beaucoup de bistro qui ont un blog où ils diffusent le menu ?

Il faut parfois obliger.

Mes exemples sont tirés par les cheveux mais n’importe quel type qui bosse dans un bureau pourra en trouver pour chez lui.

Un tel billet nécessite un résumé, non ?

Le Conseil National du Numérique a-t-il raté la diffusion d’une information qui ne le concerne pas ? Oui. Le Conseil National du Numérique a-t-il proposé au gouvernement de faire une loi pour forcer la dématérialisation des tickets restaurants ? A ma connaissance, non.

LA conclusion s’impose : il faut donner un gros coup de pied dans tout ce bazar. Je souhaite bien du courage à Madame Lemaire (et je profite pour saluer les copains qui bossent avec). D’autant qu’elle a bien des problèmes par ailleurs.


Pourquoi je parle tant de l’Etat ? A peu près la moitié du billet… Parce que c’est le seul point sur lequel la collectivité peut agir. Pour le reste, je vais donner des conseils aux industriels du numérique : il faut arrêter de communiquer au sujet d’âneries mais entrer dans le vif du sujet. L’usage. Que font vos applications avec le numérique ? Qu’est-ce qui peut influencer un patron (gagner plus d’argent) à s’intéresser au numérique, à franchir le pas ? Comment peut-il s’affranchir des difficultés ?

7 commentaires:

  1. ce billet mérite une réponse encore plus longue, je peux être d'accord avec pas mal de choses sauf le Cnn qu'il faut à mon avis conserver et même sanctuariser ! analyse à venir !

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    1. Non. Ces gens vivent entre eux et ne font pas un meilleur boulot que les fonctionnaires. Ce n'est pas propre au CNN, la plupart des conseils sont à virer, comme le CSA. La politique est trop opaque.

      Il faut quand se foutre dans le crâne que si la France est à la ramasse dans le numérique, c'est à cause des types qui ont été acteurs de la chose pendant des années et que l'on trouve maintenant au CNM. J'ai étudié la liste des membres, il y en a qui aurait pu être mes patrons (voir mon billet d'hier). On vit avec cinq ans de retard. Regarde le gouvernement qui lutte contre l'enrôlement djihadiste sur internet. C'est grotesque.

      Il faut se concentrer sur le développement économique du secteur et il ne reviendra plus à l'Etat mais aux collectivités territoriales. Le boulot de l'Etat est de légiférer. Regarde ma copie d'écran. C'est du grand guignol.

      Le boulot de l'Etat est aussi de contrôler. Et les gugusses qui contrôlent pour ces conseils sont des fonctionnaires. Pourquoi leur filer un conseil comme hiérarchie.

      Le boulot de l'état est aussi de faire des accords internationaux. Ça doit se faire au niveau européen. Le conseil national n'a rien à faire dans ce truc.

      Tiens ! Créons des commissions parlementaires, à la place, vu que le boulot du parlement est aussi de contrôler le travail de l'état et de légiférer. Tu me diras qu'ils n'y connaissent rien ? Et alors ? Tu crois que les mecs du CNN Connaissent quelque chose aux technologies à mettre en œuvre au sein es entreprises.

      Tiens ! Lundi matin, je participe à une réunion pour le cadrage d'un projet pour mettre en place un intranet pour permettre aux agents de la boîte de traiter les réclamations clients. Tu crois qu'un type du CNN sait ce que ça veut dire d'utiliser le numérique pour accéder au back office d'une banque ? Comment veux-tu qu'on avance ?

      On a un machin qui axe ses travaux sur le grand public alors que le cœur du sujet n'est pas là. Il y a les domaines que tu connais mieux que moi, comme ce qui touche à ton boulot, la fiscalité de la vente par internet et ces trucs, et ce que je connais comme l'informatique d'entreprise.

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  2. Mince, je crois que j'ai tout compris ! Votre billet doit être vraiment bon...

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  3. Sur les DSI, c'est clairement un point. Y compris aussi d'ailleurs dans les Ministères où les DSI sont rangées dans les sous-sols alors qu'elles devraient prendre de l'importance. Cela me donne des idées : Disruptons le numérique en France ! The Family devrait s'attaquer au problème !

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  4. Allons bon. Voilà que Jegoun devient un suppôt du patron et veux augmenter la productivité des assistantes en nous enlevant une raison d'aller les draguer. Mais on trouvera autre chose


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