04 avril 2015

Les treize syndromes de la décomposition numérique

« Quelles seraient les étapes de la décomposition numérique ? » demande l'ami Pierre, s'interrogeant toujours comment les entreprises et administrations françaises vont passer à côté du numérique. Si l'on est d'accord sur le fond, je serais moins formel que lui sur les étapes en question. Je parlerais plutôt de syndromes de la décomposition numérique.

Premier syndrome : quand on est satisfait des technologies utilisées

Qu'on soit à la pointe de la technologie utilisée ou qu'on utilise des technologies obsolètes, on peut trouver des motifs de satisfaction. Par exemple, les vieilles machines peuvent être beaucoup plus robustes que les nouvelles avec des applications beaucoup plus simples à concevoir.

Les technologies de pointe ne sont utiles que pour ce qu'elles apportent. Elles ne servent à rien en tant que telles.

Il faut toujours se demander si les choix sont bons.

Deuxième syndrome : quand on cherche le progrès technologique pour le progrès technologique

Au bureau, nous avons encore des serveurs en Windows Server 2003. Je discutais avec un collègue. Du genre : « fait chier, il faut qu'on passe à Windows Server 2008 », ça va nous faire un chantier complémentaire. Il m'a répondu : « ah mais faut passer directement à Windows Server 2012, c'est génial et tout ça. » Ce à quoi je lui ai rétorqué ce qui voulait dire, en gros : « hé ! Connard, qu'est-ce qu'on en a à cirer ? Les applications développées par notre fournisseur le sont pour Windows Serveur 2003 et 2008. Si on change, c'est parce que maintenir les versions pour 2003 à un coup d'autant que Microsoft a annoncé l'arrêt de la maintenance. »

Troisième syndrome : quand on est réfractaire au progrès technologique pour le progrès technologique

A ce stade, vous noterez que ce point est l'exact contraire du précédent. Il n'empêche que si on devait faire des grosses évolutions de nos applications WS 2003 à passer à WS 2008, on aurait tout intérêt à en profiter pour passer à WS 2012 pour tirer profit des évolutions et ne pas être emmerdés lors de l'arrêt de WS2008 en 2020.

Mais laissons tomber ces considérations technologiques...

Quatrième syndrome : quand on déploie de nouvelles applications et que les utilisateurs demandent une formation ou une documentation

Je parle bien entendu pour ce qui concerne l'application et pas les processus qui vont avec. A partir du moment où vous sortez des applications qui nécessitent une formation ou une documentation pour les utilisateurs ou que vous n'arrivez pas à convaincre le représentant des utilisateurs que ce n'est pas nécessaire, c'est que vous avez foiré la transformation numérique.

Récemment, on a mis en place un système tout à fait moderne pour consulter les historiques des transactions faites sur nos machines. Un type du « métier » m'envoie un mail : « dis-donc, Nicolas, quand est-ce que vous organiser la formation et livrez la documentation. » Je lui ai répondu : « tiens, voilà un lien, tu cliques dessus, tu tapes ton identifiant et ton mot de passe, tu valides, un nouvel écran arrive, tu tapes le numéro de client et la date de la transaction et elle s'affiche. Pour passer à un nouveau client, tu tapes sur « nouvelle recherche », voilà, lis l'écran. »

Je ne plaisante pas. J'en ai déjà parlé et la plupart des cabinets de « conseil en numérique » proposent une offre « d'accompagnement du changement ». Ce sont des loosers.

Cinquième syndrome : quand vous assistez à des conférences sur la transition numérique parce que vous n'osez pas ne pas y aller.

Si vous êtes informaticiens, allez plutôt à des conférences sur les technologies. Si vous êtes décideurs, n'oubliez pas que ces conférences sont souvent commerciales. Allez y pour le cocktail final.

Sixième syndrome : quand vous prenez des consultants pour vous aider à choisir une stratégie pour la transformation numérique.

Vous pensez vraiment que des consultants « en stratégie » ont la moindre idée de ce qu'est la transformation numérique appliquée à votre métier ou à votre filière ? Faites-vous inviter à déjeuner par leurs commerciaux et écoutez ce qu'ils ont à vous dire et vous en saurez assez.

Ensuite, prenez des consultants normaux, parce que vous avez une surcharge d'activité et que c'est toujours utile d'avoir une vision extérieure.

Septième syndrome : quand vous pensez faire une transformation numérique sans modification des processus.

Cela signifie que vous confondez transformation numérique avec une transformation informatique qui peut être utile pour de nombreuses raisons : obsolescence technologique, coût de maintenance, performances, nouvelle offre commerciale,...

Méditez bien sur la locution : « modification des processus ». Quand votre banque met votre relevé de compte à disposition sur votre serveur web, c'est une transformation numérique car ils n'ont plus besoin de l'imprimer et de l'expédier et vous n'avez plus besoin de l'archiver dans un classeur. Par contre, c'est une relativement petite transformation informatique (la banque sait envoyer un fichier pour que l'imprimeur... l'imprime, il n'y a plus qu'à en faire un pdf et le stocker en ligne, dans le cloud, comme on dit).

Huitième syndrome : quand vous restez persuadés que la transformation numérique est un truc du 21ème siècle.

Cela fait trente ans, à peu près, que je consulte mes comptes bancaires en ligne. C'était grâce au Minitel. Le Minitel a permis une transformation numérique parce qu'il a permis une modification des processus.

Pour en revenir au syndrome précédent : quand internet est arrivé et que les banques ont pu faire des sites web pour permettre aux clients de faire des opérations de base, c'était une gigantesque transformation informatique mais pas du tout une transformation numérique : les processus étaient possibles avec le Minitel.

Le seul aspect un peu « numérique » est que les banques ont été obligées d'y passer pour ne pas être à la traîne par rapport à leurs concurrents.

S'il y a aujourd'hui une volonté d'accélérer la transformation numérique, c'est parce que les conditions technologiques la rendent indispensable.

Neuvième syndrome : quand vous accompagnez vos évolutions de processus de formulaires papier sans valeur contractuelle.

Je ne plaisante pas ! Tiens ! Même au sein des DSI, on croule sous les paperasses même si elles sont transmises en pdf par mail.

Dixième syndrome : quand vous n'avez pas fait votre transformation numérique au sein de vos services internes.

C'est directement l'exemple du point précédent qui m'inspire celui-ci... Dans les DSI, nous sommes des acteurs de la transformation numérique de l'entreprise mais on ne se l'applique pas à nous. L'autre jour, on avait un client qui voulait une copie du procès verbal d'homologation d'une version de logiciel sans même se rendre compte que les outils modernes permettent de gérer tout ce bordel sans produire de PV.

C'est malin d'ajouter un syndrome en cours de rédaction d'un billet structuré à l'avance, ça va me faire 13 points. Ca porte malheur.

Onzième syndrome : quand vous faites des expérimentations vouées à l'échec

Tiens ! Je parlais hier de Monéo. Une expérimentation grandeur nature. Le numérique est un truc relativement compliqué, pas simple du tout à mettre en œuvre et on ne sait jamais ce qui marchera ou pas. On est donc incités à faire de l'innovation technologique pour montrer qu'on est modernes et pour être sûrs de ne pas louper une vague.

Il faut voir le nombre d'heures perdues pour des trucs qui seront peut-être des formidables percées technologiques mais qui n'auront aucune retombée commerciale.

Douzième syndrome : quand vous pensez que la normalisation et le respect des standards n'est pas important.

C'est probablement le point le plus important. Un des syndromes, par exemple, est de tolérer une application qui ne fonctionne qu'avec la dernière version de Chrome mais pas la dernière d'IE ou de Firefox... J'aurais plusieurs autres exemples à donner mais j'ai la flemme.

Le respect des standards est ce qui permet de garantir l'évolutivité.

Treizième syndrome : quand vous avez une liste fermée de fournisseurs

La plupart des grosses entreprises ont des listes fermées de fournisseurs de logiciel, de prestations informatiques ou de prestations de conseil. Comment voulez-vous innover dans ce contexte ? Comment travailler avec des « start up » ? Comment voulez-vous mettre en concurrence ?

C'est la première erreur des DSI... Comment faire de la transformation numérique si les achats et les RH verrouillent tout ? Et j'aurais pu ajouter "la sécurité".

7 commentaires:

  1. Ah, je lis toujours!
    Les conseils en stratégie numérique ou autres proposent un accompagnement du changement pour facturer des prestations, et les clients les acceptent parce que ça passe dans le budget formation. Les utilisateurs métier n’apprennent rien pour leur qualification personnelle, mais ça leur fait des vacances et l'occasion de revoir la petite blonde qui avait été mutée dans un autre service.

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  2. Vous confondez deux mots, je crois : syndrome et symptôme…

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    1. Non. Je me suis posé la question en rédigeant. Chaque cas est bien une maladie en soi et composé de plusieurs symptômes. En gros, j'ai treize maladies différentes qui nuisent à la bonne santé du numérique.

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    2. Par contre je n'avais pas vu la faute dans le titre : syndrone !

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  3. Dans ton dernier paragraphe tu n'as pas cité un acteur important du blocage des listes de fournisseurs, la cellule juridique (pour les organisations qui en ont une). Et là, il y a du sport vu que les juristes se basent par construction sur le passé;; jurisprudence toussa;;;;

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