Pierre continue nos réflexions
à propos de la bonne utilisation de la messagerie professionnelle et des
nouveaux moyens tels que les réseaux sociaux pour faciliter les travaux tout en
ne baissant pas la qualité du travail, ne serait-ce que parce que les progrès
techniques font que les normes habituelles (les méthodes « qualité »
et autres âneries pourtant indispensables) ne sont plus respectées.
Un troisième
larron nous rejoint dans cette discussion. Il avait d’ailleurs déjà
travaillé sur l’usage
des réseaux sociaux en entreprise (dans son domaine, les bibliothèques, si
j’ai bien compris).
L’entreprise jugera si elle doit utiliser les réseaux
sociaux (blog, compte Twitter, page Facebook, …) pour sa communication, soit
avec les clients ou usagers, soit avec le personnel (ou le potentiel personnel…).
Ce qui m’intéresse, ici, c’est comment peut une entreprise peut utiliser des
réseaux sociaux pour son travail au quotidien, pour permettre une diminution du
nombre de mails et un meilleur respect des normes, normes qu’il reste d’ailleurs
peut-être à créer ou recréer, tout en améliorant le niveau d’efficacité des
salariés.
Il y a des entreprises (dont ATOS, je crois) qui ont tenté l’utilisation
des réseaux sociaux pour remplacer le mail mais s’il s’agit uniquement de
remplacer un outil par un autre, autant pisser dans un violon. S’il faut écrire
sur le mur de 10 personnes : « pouvez-vous me donner vos
disponibilité pour telle réunion ? » autant envoyer un mail… (mais c’est
vrai que recevoir les réponses de tout le monde quand on est dans une telle
boucle est très pénible).
Il faudrait donc définir les besoins. En voilà un :
préparer et organiser une réunion ? Je vais en trouver deux ou trois
autres pour les intérêts de mon billet. Il y en a des dizaines…
Peu importe les exemples que je cite, ils sont là uniquement
pour illustrer le billet.
Besoin 1 : organisation d’une réunion
La plupart des boites ont des agendas partagés qui
permettent de consulter les disponibilités de chacun. Il n’empêche qu’il est
hors de question que je partage mon agenda avec des inconnus. Il est hors de
question que quelqu’un m’impose une réunion sans que je puisse savoir à l’avance
de quoi il retourne, si ma présence est indispensable, …
Je « veux » donc pouvoir recevoir une information
sur la nature d’une réunion, son urgence,… Je « veux » avoir la
possibilité de dialoguer avec l’organisateur. Je « veux » que me
soient proposées des dates, que soit vérifié mon agenda, que je puisse indiquer
mes préférences, que l’on puisse traiter les priorités entre les réunions (il m’arrive
d’en avoir plusieurs en même temps puisque j’ai donné mes disponibilités avant
d’avoir les dates définitives, …).
Je vous laisse imaginer ce que l’on pourrait avoir.
Besoin 2 : gérer la documentation
Différents outils existent pour gérer la documentation, son
partage, ses versions,… Mais ils semblent conçus par des gens qui vivent dans
un monde parallèle.
Par exemple, je rédige des spécifications de logiciels pour
les serveurs de mon entreprise. C’est une partie de mon job. Après, je les
transmets pour relecture à mes collègues ou à ma hiérarchie. Concrètement, je
leur envoie un mail avec le document en pièce jointe (pour leur faciliter le
travail) et le lien vers le document sur le réseau si je leur passe la main
pour qu’ils fassent des modifications.
A ce stade, on arrive déjà à une impasse qui fait que le
meilleur retour que je puisse avoir est une impression du document annoté par
les relecteurs. Les meilleurs outils au monde ne permettront jamais de résoudre
toutes les problématiques. Par exemple, si un collègue me signale une faute d’orthographe,
les autres ne doivent pas le voir pour ne pas me donner la honte, mais moi je
dois pouvoir vérifier qu’il s’agit bien d’une faute. Si le collègue formalise
une modification de forme importante (ça arrive souvent, les gens se focalisent
souvent sur la forme et omettent de s’occuper du fond, ce qui explique pourquoi
nos braves entreprises sortent souvent de la merde), je dois pouvoir la refuser
sans le vexer (on pourrait faire un billet entier sur la relecture des
documents des collègues).
Avec un peu de chance, on arrivera bien à faire un document
potable. On devra alors le faire valider par les services utilisateurs ou les
clients. A partir de ce moment, il faut user de « méthode » puisqu’on
rentre dans le cadre d’un accord contractuel. Le client va lui-même diffuser le
document en interne et préparer une fiche quelconque avec une série de
remarques. Il va falloir que je lui réponde point par point, soit en modifiant
mon document soit en refusant la réponse et en argumentant. Il va donc falloir
suivre le niveau de traitement de chacune des remarques du client, avec un tas
d’allers-retours pour valider le document.
Il finira par être validé.
A ce stade, il devient un cahier des charges que je vais
transmettre à « l’informatique » (soit internet soit externe), mon
fournisseur. Il va lui-même faire des remarques qu’il faudra éventuellement
soumettre aux utilisateurs, créant ainsi deux dialogues (le fournisseur et moi
d’un côté, le client et moi de l’autre), générant des modifications des
documents avec des nouvelles phases de validation, de négociation.
J’arrête là mon explication… Mais je vous laisse imaginer la
suite avec la négociation du coût de développement avec les deux parties, la
spécification du fournisseur, … (un informaticien ira plus loin puisqu’il se
dira qu’il faut faire un « cahier de tests » pour ce bazar).
Besoin 3 : la gestion des incidents
Ayant été un peu long à propos du besoin 2, je vais faire
plus léger sur le trois. Toujours est-il que, sur nos serveurs, à différents
stades (homologation, pilote, recette, …), des incidents sont rencontrés soit
par le fournisseur, soit par le client, soit par nous. Des applications
existent pour gérer le « cycle de vie de l’incident » (on utilise
Redmine) avec la fourniture des logs, la négociation sur la gravité et l’urgence,
la livraison d’un correctif dans un lot ultérieur plus important de
modification ou en urgence, …
J’ai besoin de cet exemple pour la suite.
Trois besoins identifiés
Chacun pourra imaginer des besoins supplémentaires. J’ai
pris ces trois exemples parce qu’ils prennent beaucoup de temps en échanges de
mail et ils sont tous les trois « gérables » par des outils de type « réseau
social » (différents acteurs identifiés par « cercle » peuvent
intervenir sur chaque élément, le but étant de les faire communiquer entre eux).
Pour rebondir sur le dernier, les difficultés sont
complexes.
Première difficulté – l’absence de norme
Il y a trois interlocuteurs : l’utilisateur (le
client), le fournisseur et nous (l’intégrateur). Chacun des trois va utiliser
son propre système de gestion d’incident. On pourrait se mettre d’accord pour
utiliser le même mais chacun à plusieurs clients ou plusieurs fournisseurs.
Trouver un accord nécessiterait que tout le monde (tous les clampins du monde
travaillant dans l’informatique ou à côté) utilise le même.
Pour l’instant, le seul outil commun est le mail… Pourtant,
on sent bien qu’un outil de type « réseau social » pourrait être bien
utile…
Dans la pratique, les trois entités utilisent leur propre
outil et s’échange par mail des tableaux Excel pour faire le suivi, ce qui
nécessite de faire le reporting manuellement.
Seules des très grosses entreprises sont susceptibles d’imposer
des outils à des clients ou à des fournisseurs… On n’imagine assez mal un
fabriquant de boite de vitesses refuser d’utiliser le système informatique du
fabriquant de voitures !
Deuxième difficulté – la sécurité
Les informations échangées sont parfois strictement
confidentielles pour des raisons de sécurité ou de politique industrielle. Par
exemple, notre fournisseur ne voudra pas que l’on sache les anomalies signalées
par ses autres clients. L’outil que nous utilisons est donc installé sur nos
serveurs, sans accès possible de l’extérieur à part… par l’interface d’un
serveur mail…
Malgré la mode du « cloud », aucun patron au monde
n’acceptera que les informations quittent le domaine de l’entreprise avec une
diffusion totalement maitrisée par des salariés. On pourrait donner un accès
externe à nos serveurs mais cela nécessiterait de contourner la politique de
sécurité de la boite (en obtenant des dérogations en bon et due forme) ce qui
nécessiterait d’énormes travaux de « cloisonnement » de nos serveurs
(il faudrait que les serveurs soient connectés à Internet).
Tout est toujours possible techniquement… Mais il resterait
à garantir la compatibilité entre nos systèmes et ceux du client et du
fournisseur. Vive les normes !
Troisième difficulté – l’apprentissage
Nous disposons de nombreuses applications sur l’Intranet
mais, à part l’application pour poser des congés, on oublie toujours comment
elles fonctionnent. Entre le serveur de documentation de la boite, celui de
chacun des partenaires, celui pour les notes de frais, celui pour le suivi de l’activité,
l’intranet de la boite, nos propres serveurs annexes, le serveur du CE, celui
pour réserver les numéros d’audios conférence, … il nous faut connaître un tas
de trucs ! Rien n’est compliqué mais le cumul fait qu’on oublie
systématiquement les modes d’emploi, les mots de passes, …
Quand j’ai commencé à bosser, on avait une secrétaire pour
une dizaine ou une vingtaine de bonhomme. Maintenant, on utilise des
applications. Je ne suis pas sûr que l’employeur soit réellement gagnant…
Il suffit de voir comment un informaticien « pur »
utilise Word pour se rendre compte de la marge qu’il y a pour quelqu’un entre
faire son cœur de métier (du développement informatique) et autre chose… Tiens !
Si avec mes deux compères on se sent obligés de donner des conseils d’utilisation
de messagerie, c’est bien parce que de nombreux lascars ne savent pas s’en
servir.
Il est temps de conclure
Ce billet a dépassé la taille maximale autorisée par le
syndicat.
Ainsi, les réseaux sociaux traditionnels n’ont pas vraiment
leur place en entreprise, même s’ils peuvent avoir une utilité. De nombreux
outils existent. De puis que je bosse, j’ai découvert un tas d’outil de « travail
collaboratif » et j’en utilise toujours quelques uns. On peut en inventer
d’autres mais ils auraient tous un certain nombre de frein à leur mise en œuvre.
En fait, dans ma carrière, la plupart des outils de type
réseau social que j’ai eu l’occasion d’utiliser (sauf ceux extrêmement
spécialisés, voire développés spécifiquement pour un usage) se sont traduits
par, non seulement un échec, mais aussi une perte financière importante,
notamment via le temps passé par les utilisateurs qui finissent toujours par
revenir aux bonnes vieilles méthodes : le mail, le stylo et le coup de
fil.
Ca ne concerne pas vraiment les réseaux sociaux mais le pire
que j’ai vu est un outil qui s’interconnectait avec un outil de gestion de
projet (type MS Project) et le système de gestion de l’activité des salariés. C’était
grandiose et sur le pied c’était parfait. Il répondait parfaitement aux besoins
imaginés par ses concepteurs et le service « méthodes » de l’entreprise
l’avait trouvé absolument génial jusqu’à l’acquérir et le rendre obligatoire à
toute la Direction Informatique. Il n’avait pas pensé un détail : l’outil
ne correspondait pas du tout aux besoins de l’informaticien et du chef de
projet… Du coup, on passait un temps monstre à essayer de l’adapter… Jusqu’à ce
qu’on gueule très fort et que le chef aille voir la direction.
Les outils de réseau social s’imposeront en entreprise parce
qu’ils sont indispensables mais uniquement s’ils s’annoncent incontournables,
comme le sont devenus, maintenant, Facebook et Twitter, si on s’intéresse un
peu à Internet.
La deuxième condition est qu’ils soient utilisés par tous,
du technicien au management. Notre système de gestion d’incidents est très bien
pour les ingénieurs mais la direction est incapable de l’utiliser (faute d’avoir
l’occasion). De fait, elle ne connaît pas l’outil et est incapable d’en faire
la promotion auprès d’autres services voire de l’imposer dans l’entreprise pour
lever les contraintes de sécurité que j’évoquais.
Il n’y aura jamais aucune volonté politique des entreprises
d’utiliser des outils de type « réseau social », avec différentes
applications et des contacts dans des cercles, à cause du mode de
fonctionnement des entreprises. S’ils s’imposent dans une entreprise, ça sera
par la force, donc dans une démarche condamnée à l’échec, de même que des
méthodes de travail ont été imposées dans les années 90 et 2000 pour répondre à
des démarches « qualité », parce qu’il fallait des Plans d’Action
Qualité, parce que c’était dans la norme, toutes démarches qui ont été
contournées par les mails parce qu’elles ne correspondaient pas à l’activité
quotidienne des salariés.
Les réseaux sociaux en entreprise mourront probablement d'eux-mêmes parce qu'ils ne seront pas compatibles avec d'autres système et parce que les concepteurs n'ont pas pensé aux besoins réels des gens. Twitter et Facebook doivent avant tout leur succès "au hasard"...
Les réseaux sociaux en entreprise mourront probablement d'eux-mêmes parce qu'ils ne seront pas compatibles avec d'autres système et parce que les concepteurs n'ont pas pensé aux besoins réels des gens. Twitter et Facebook doivent avant tout leur succès "au hasard"...
Pour résumer : il n’y a aucune raison d’être
optimistes.
C’est mal.
Bientôt, c'est un livre que tu vas écrire sur le sujet... Je vais réfléchir à ce sujet
RépondreSupprimerBen faire des spécifications de logiciel, c'est mon job de même qu'analyser ce que proposent les fournisseurs.
SupprimerTu as une production rapide en spécifications
RépondreSupprimerOui. C'est aussi pour ça que je ne suis pas payé au smic.
SupprimerMerci pour le(s deux) lien(s) dans ce billet. En effet, quelle production : deux (longs) articles par jour. Les lecteurs vont avoir du mal à suivre cette cadence, même bibliothécaires ;-)
RépondreSupprimerCe n'est pas tous les jours ainsi. Je n'ai pas chronométré le premier billet fait pendant ma pause déjeuner. Mais le deuxième à été fait en moins de 25 minutes. Mais je suis d'accord. C'est trop pour le lecteur.
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