Dans son dernier billet, Pierre rebondit (encore !) sur le mien d’hier midi, à
propos des Réseaux Sociaux en Entreprise. Il estime que cela ne sert à rien. Il
enfonce le clou : « Toutes les boites qui
mettent en avant ce type d’outil de copinage interne me paraissent louches. »
Sur ce point, on est d’accord. Des outils de réseaux sociaux tels que Facebook
ou Twitter ne servent pas à grand-chose.
Il en rajoute une couche : « En revanche, il n’y a pas besoin de RSE car on n’est pas
au boulot pour se faire des amis ou des linckers ou des followers. »
Il a évidemment raison. « On est au boulot pour
produire ce pour quoi on est payé. » Evidemment ! (bis)
Dans ma boite, les ingénieurs utilisent une espèce de petit
Twitter où ils indiquent les manipulations qu’ils prévoient sur les différents
serveurs de test ce qui permet à tout le monde de connaître les « niveaux
techniques » et surtout les plages d’indisponibilité. C’est un réseau
social. On avait un vague besoin et c’est devenu un usage.
En fait, tout dépend ce qu’on appelle un Réseau Social. Dans
mon logiciel de messagerie professionnelle (Lotus Notes), j’ai la possibilité
de faire autre chose que d’envoyer des mails, notamment de gérer mon agenda.
Dans la mesure où, mutuellement entre collègues, on peut consulter nos agendas
et se proposer des rendez-vous, une telle application n’est-elle pas un embryon
de Réseau Social ?
Le Réseau Social n’est pas que la possibilité de se faire
des potes et partager des trucs inutiles (ou pas), c’est aussi un truc qui peut
avoir une utilité concrète.
A propos des outils qu’on utilise en entreprise, Pierre
ajoute : « des services […] dans un
portail intranet suffisent largement pour aider les communautés de fonctions ou
d’intérêt de fonctionner ». N’est-ce pas un réseau social ?
Les disponibilités dans mon agenda sont… disponibles pour tous mais seul un
« groupe d’amis » (ma proche hiérarchie et mes collègues proches) a
la possibilité de consulter les différentes entrées présente dans mon
calendrier.
Ou est la frontière entre le service de l’Intranet et le
Réseau Social ?
Par contre, Pierre a parfaitement raison sur un point :
on n’a pas besoin d’un réseau social ouvert (type Twitter ou Facebook où l’on
peut s’abonner à un tas de gens) mais on a besoin d’outils au sein même des
équipes (ou de manière transverse pour certains projet). Ces équipes doivent
être réduites (à la limite définie par la hiérarchie) et le papotage futile
doit y être proscrit.
Pierre finit cruellement : tout cela n’est que de la
foutaise mis en place pour des raisons débiles et foireuses. Cela nous emmène à
débattre : d’’où vient tout cela ? En commentaire, il me précise qu’il
faut faire la distinction entre l’usage et le besoin.
Et il a parfaitement raison. Twitter et Facebook doivent
leurs succès respectifs au fait qu’on en a usage parce qu’ils ne correspondent
pas à un besoin. Or, en entreprise, les projets se font en fonction des besoins
pas des usages potentiels.
Parfois, c’est facile. Suite à une réorganisation, ma boite
devait changer son mode de gestion des congés. Elle a donc décidé d’utiliser un
service Internet qui nous permet de poser de nos congés, à notre hiérarchie de
les valider et au service des RH de décompter automatiquement les jours, entre
les congés payés, les RTT, les jours d’ancienneté et tout ça.
L’application est très bien faite. On fait tout en quelques
clics. Quand on a une action à faire (ce qui est le cas uniquement quand le
chef refuse les congés, ce qui m’arrive parfois, quand je me trompe…), on
reçoit une notification par mail. On peut consulter les dates de congés des
autres, soit par service, soit par direction, soit pour toute la structure
juridique (nous sommes une grosse centaine, ça reste gérable). C’est une espèce
de petit réseau social d’entreprise…
L’entreprise avait besoin d’une application. Nous en
avons facilement trouvé l’usage (sinon, on ne peut pas partir en congés…).
Par contre, il aurait été plus intéressant que ce machin
soit intégré à notre messagerie qui gère aussi notre agenda ! En effet,
quand je prends des congés, il faut aussi que je bloque les journées
correspondantes dans l’agenda et je programme un message de réponse automatique
pour que ceux qui m’envoient des mails soient avisés de mes absences.
Nous avons un autre Intranet qui gère les notes de frais.
Quand je vais en déplacement, j’envoie un mail à la secrétaire pour qu’elle me
réserve un moyen de transport et un hôtel. Ensuite, il faut que j’inscrive mon
déplacement dans mon agenda ainsi que toutes les réunions que je fais pendant
la période (quitte à aller loin, je préfère cumuler les réunions), celles que
j’ai organisées en utilisant les agendas partagés des autres. Etant absent du
bureau pour au moins deux jours, j’active le machin automatique de réponse en
cas d’absence.
Au retour, il faut que je me connecte au machin de gestion
des notes de frais, que je décrive à nouveau ce que j’ai fait et que je
saisisse les notes de frais. Ca serait quand même plus simple si je le faisais
directement dans le machin qui m’a permis d’organiser mon déplacement et mon
voyage.
Hé ! T’as vu ? Je viens de définir un besoin.
Il s’agit globalement d’intégrer à l’agenda partagé un
machin pour gérer les congés, les absences, les réservations, les notes de
frais, … Vous me lancez, en une journée, je vous sors un cahier des charges
fonctionnel de 50 pages.
N.B. : sans déconner… C’est mon métier et tu as vu ma
vitesse pour produire des billets de blog. En prime, je peux recommander un
raccordement au site de la RATP pour organiser mon accès à la gare ou à Orly.
Je peux faire mieux, même : si mon déplacement est à Lyon, je fais une
interface avec Facebook pour fêter la naissance du bébé Blachier
avec les socialos Lyonnais Trub, Sassa, Jean, Marco et Bembelly.
Nous en trouverions facilement l’usage, c'est-à-dire
une "vraie utilisation". Ce machin deviendrait obligatoire pour les congés et
les notes de frais. Il est hors de question que je ne prenne pas de congés ou
que je ne me fasse pas rembourser mes frais…
Le besoin retrouve l’usage…
Ce qui n’empêche pas Pierre d’avoir parfaitement raison. Il
n’y a aucun « usage » d’un réseau social traditionnel et ceux qui en
définissent le « besoin » ne sont que des doux rêveurs (pour rester
poli) qui n’ont aucune connaissance de la réalité du fonctionnement au
quotidien des salariés d’une entreprise.
Ce n’est pas le cas que des réseaux sociaux mais de toutes
les applications de l’Intranet.
Tiens ! Nous avons une application de gestion des
documents. Or, c’est beaucoup plus simple de gérer les documents sur les
lecteurs réseaux partagées (d’un point de vue méthodologique c’est une hérésie
mais je ne vais pas reparler de normes, c’était l’objet de mon billet d’hier ou
d’avant-hier). Nous avons bien besoin d’un système de gestion de la
documentation mais nous n’avons pas l’usage de celui qui est proposé.
Les types ont formulé un besoin : trouver facilement de
la documentation et l’archiver sérieusement pour respecter la méthode.
Ca vous parait normal et c’est logique. Nous avons besoin de
trouver facilement de la documentation et de respecter la méthode. La méthode
est rendue obsolète par le mail : ce qui est important est la date à
laquelle nous avons transmis le document à ses destinataires… Et quand on
cherche de la documentation, on aurait besoin d’un machin comme Google pas de
fouiller dans une arborescence établie au gré des mouvements des neurones de
celui qui l’a archivé.
Ainsi, l’outil ne répond même pas efficacement au besoin
exprimé.
Mais surtout, le besoin n’est pas là. Nous avons besoin de
produire de la documentation (c’est notre métier, ce n’est pas « archiver
de la documentation » ni même « consulter la documentation
archivée ») et la transmettre à des lascars.
Voilà le besoin. L’usage est : nous stockons les
documents sur des disques durs (éventuellement partagés et organisés selon
notre méthode de travail) et nous les transmettons par mail (ou nous
transmettons par mail le lien vers le disque partagé) à des lascars.
Nous le faisons grâce au clic droit de la souris et de
l’option « envoyer par mail ». C’est notre besoin. Les versions
officielles (celles qui mériteraient d’être archivées parce qu’elles ont été
transmises à des tiers) sont archivées dans la messagerie.
L’usage correspond parfaitement au besoin principal.
Tout le reste n’est que foutage de gueule sauf pour un point : le partage
de la documentation avec ceux qui ne sont pas destinataires du mail, selon son
niveau de confidentialité… mais ce n’est pas « mon » besoin
principal, c’est un autre besoin : mettre à disposition d’autrui de la
documentation « officielle ».
Je vais donc répondre à Pierre. Le problème n’est ni
l’usage ni le besoin. L’usage se forme en fonction de ce qui est disponible
et des « tics » des utilisateurs. Le problème essentiel est l’expression
de besoin. La difficulté est que le type des méthodes ou l’informaticien va
imaginer le besoin des autres. C’est souvent le cas en informatique.
On peut l’illustrer avec les réseaux sociaux grand public.
Ceux qui ont le plus de succès, comme je le signalais plus haut, sont ceux qui
ne répondent à aucun besoin et qui ne servent, finalement, à rien :
Twitter, Facebook, Instagram, Foursquare… Les concepteurs ne se sont pas
imaginés les besoins des gens. Ils se sont dits : tiens ! Ca serait
rigolo d’envoyer des messages courts à des inconnus (ou pas), de partager des
machins avec des copains, de partager photos immédiatement quand on les prend
ou de dire aux autres quand on est dans un endroit particulier.
Il n’y avait aucun besoin. On a accepté l’usage.
Elle n’est pas belle, ma conclusion ?
Si, hein !
Mais totalement hors sujet. Je ne parle pas des réseaux mais
de toutes les applications de type Intranet (ou Extranet, d’ailleurs) que nous
pouvons utiliser en marge ou au cœur de notre métier.
Dans un monde idéal, on se connecterait le matin en arrivant
au boulot et on aurait directement accès à toutes les applications
(actuellement, où je bosse, il faut que je me connecte à chacune d’entre elle,
ce qui ne pose pas de problème, les identifiants sont mémorisés sur mon poste,
sauf pour Lotus Notes). Dans un monde
idéal, l’identifiant du salarié (ou son matricule ou son adresse mail) serait
utilisé pour toutes les applications utilisées.
Or, que disait-t-on quand on s’amusait à commenter la guerre
entre Facebook et Google+ ? Que la vraie bataille n’était pas celle du
réseau social mais de l’identifiant numérique de l’Internaute. On retrouve l’identifiant
du salarié ! Que sont Facebook et Google+ ? Des machins permettant de
papoter en se connectant avec un identifiant qui donne accès à des applications
internes ou externes…
La boucle est bouclée…
Et que fais-je au quotidien sur mon PC ? Avec un clic
droit sur ma souris à partir du « noyau » de ce PC, l’explorateur, j’envoie
des mails à des lascars pour leur transmettre des documents. En quelques clics
sur l’outil de messagerie, je gère mon emploie du temps. J’utilise l’adresse
mail de cette messagerie à partir de Firefox pour accéder à des applications
externes, des intranets, des extranets, …
Typiquement du Réseau Social…
Je fais tout ça à vue de nez depuis plus de quinze ans…
Ainsi, sans le savoir, ça fait plus de quinze ans que j’ai
l’usage d’un Réseau Social d’Entreprise sans le savoir et sans même savoir que
j’en avais le besoin.
Les outils évoluent doucement mais qu’importent les outils…
Le Réseau Social d’Entreprise en tant que tel, juste pour
communiquer sur le fait qu’on est modernes : non. Le Réseau Social d’Entreprise
en tant qu’outil au quotidien : oui. On y est. On en a l’usage.
"Il n'y avait aucun besoin. On a accepté l'usage". C'est la phrase clef. La réussite du web consiste à inventer des usages sans étudier les besoins. Facebook, personne n'en avait besoin. Je vais l'afficher chez mes développeurs comme une maxime !
RépondreSupprimerOui.
SupprimerTiens ! Je viens de faire un nouveau billet. J'ai inventé un usage du RSE sans aucun besoin...