En faisant une recherche Google, je suis tombé par hasard,
de lien en lien, sur la page Wikipedia de Monéo que j’ai relue avec une
certaine nostalgie vue que j’ai travaillé près de personnes qui préparaient le
projet. Elles étaient très enthousiastes et s’imaginaient que ça allait
décoller, que leur machin allait remplacer les espèces, qu’ils étaient à l’origine
d’une nouvelle ère ! Le sujet est bien parce qu’il permet d’illustrer les
erreurs que peuvent faire les hommes…
C’était vers 1996 ou 97.
Il y a peut-être des lecteurs qui ne savent pas ce qu’est
Monéo. C’est une carte qui sert de porte-monnaie électronique : vous la
chargez et vous payez vos achats de petits montants avec. A l’époque, le PME
était embarqué sur votre carte bancaire. C’était une belle réussite technique
(à un détail près : le type de puce était détecté lors de la RAZ de la
carte, mais je ne vais pas m’épancher, disons qu’ils violaient un peu la norme
ISO 7816) et une relativement belle réussite commerciale (elle équipe notamment
les universités où les étudiants peuvent payer un tas de trucs avec :
café, cantine,…). Il y a de l’ordre de 3 ou 400 millions d’opérations par
semaine. Mais ce succès est loin de ce qui était envisagé au départ :
Monéo ne remplace pas les pièces et est très peu utilisé dans les commerces.
Ces messieurs travaillaient dans le plus grand secret pour
des raisons liées à la concurrence mais on en parlait parfois à la machine à
café. Ce travail en secret était la première erreur majeur : ils ont
totalement foiré la phase d’étude de marchés et ont commencé par viser les
paiements de petits montants dans les commerces, notamment les boulangeries et
les marchands de journaux. Ca semblait génial : plus besoin de sortir 4F50
pour acheter une baguette, de jongler avec la monnaie,…
Les problèmes de ces messieurs qui travaillent dans des
bureaux est qu’ils ne connaissaient pas les commerces…
J’ai eu trois fois l’occasion de donner mon avis et de
formuler mes objections.
La première était que les commerçants ne voudraient pas de
ce truc. Ils auront des frais à payer et cela ne leur évitera pas de gérer la
monnaie, tous les clients n’auront pas de Monéo. Gérer la monnaie n’est pas un
problème pour les commerces quand c’est le patron qui fait la caisse. Dans des
chaînes de magasins, comme les marchands de journaux dans les gares, la
question pouvait se poser mais les clients sont essentiellement de passage donc
n’auraient pas été intéressés par le truc. En plus, supprimer les espèces empêcherait
ces sympathiques commerçant de faire de l’argent au noir, ce qui est très
facile dans les boulangeries…
Je me rappelle du gars qui m’avait présenté le modèle
économique : ils voulaient faire payer une commission aux commerces… J’avais
bondi. Déjà que les clients chargeant leurs machins à l’avance, les banques
allaient avoir un pactole de pognon immobilisés dans leurs comptes bancaires, s’il
fallait encore faire payer à l’autre bout, le tollé serait général.
J’étais donc persuadé que cela ne fonctionnerait jamais.
La deuxième, c’était pour leur faire remarquer que l’on
changerait de monnaie quelques années plus tard et que leur système était
presque purement français (il se basait sur une technologie utilisée en Allemagne,
je crois) et pas interopérable. Il était donc urgent d’attendre l’euro, voire
les nouvelles normes internationales de cartes à puce, pour différentes raisons :
commerciales, techniques,…
La troisième était la cible commerciale du machin. A l’époque,
Paris cherchait à développer des cartes de stationnement. Le patron de Monéo
aurait du appeler le maire de Paris, l’inviter à déjeuner, lui parler de son
projet et faire un deal : vous payez le matériel (les horodateurs) et on
vous fait utiliser notre truc sans frais. Le maire de Paris aurait dit OK :
de toute manière, il allait dépenser une fortune pour mettre des lecteurs de
cartes dans ses horodateurs. Les cartes de stationnement auraient été des Monéo.
Ils ne l’ont pas fait ainsi et on privilégié, pour le
lancement, à Tours puis en Bretagne, les petits commerces. La cible évidente
était tous les automates (parcmètres, machines à café,..), là où le traitement
de la monnaie a un coût puisqu’il faut venir la chercher, sans compter le coût
de la mécanique. D’autres cibles faciles pouvaient être imaginées, comme le
paiement de titre de transport à l’unité. D’ailleurs, la RATP a déployé ses
lecteurs Navigo, à peu près à la même époque.
Enfin, à l’époque on n’imaginait pas que tout le monde
aurait un téléphone mobile. Les cabines téléphoniques auraient pu être une
cible supplémentaire parfaite et disponible à peu de frais : toutes les
cabines étaient équipées de télécartes.
Pourtant, il y a eu des tentatives de regroupement des
industriels avec Modeus et Mondex mais seul Monéo a vu le jour. Ainsi, après la
télécarte, différents systèmes utilisant une carte se sont développés à peu
près simultanément : transports, universités, parcmètres,… (je mets la
carte vitale à part, on ne joue pas avec la santé).
Techniquement, il n’aurait pas été compliqué de faire un
projet global, entièrement basé sur les normes ISO dont la 7816 qui est à la
base de nos cartes bancaires qui sont « multiapplicatives », un peu
comme si vous aviez plusieurs logiciels à l’intérieur (par exemple, une carte
Mastercard de base à une application CB pour l’usage national et une
application Mastercard pour l’usage international). Fonctionnellement, Monéo,
les cartes de stationnement et les télécartes sont identiques : le client
charge sa carte d’une valeur quelconque à l’avance et dépense ensuite.
C’est un marché qui n’est pas concurrentiel. D’ailleurs, les
entreprises privées concurrentes, les banques, travaillaient déjà ensemble au
sein du GIE CB pour garantir l’interopérabilité (la carte émise par une banque
qui fonctionne sur les terminaux gérés par d’autres). Vous n’allez pas changer
de banque pour avoir un portemonnaie électronique différent !
Mais des messieurs travaillaient seuls dans leurs coins et
il n’y a eu aucune volonté politique de franchir le pas, de travailler ensemble
pour une technologie qui aurait pu se développer réellement, tranquillement… L’affaire
a été laissée aux techniciens qui ont imaginé leurs solutions alors qu’elle
aurait du être gérée par les grands patrons qui auraient pu créer une structure
juridique unique et mettre fin à tous les autres travaux, en laissant, ensuite,
carte libre aux techniciens pour définir la nouvelle carte, ou plus
précisément, la nouvelle application qui aurait pu être intégrée aux cartes
actuelles, ce que les techniciens ont su faire une première fois en mettant
Monéo sur les cartes bancaires et une deuxième, lors du passage à la norme EMV
pour ces mêmes cartes.
C’est ballot. Il suffisait d’un déjeuner entre le patron du
GIE CB et le Maire de Paris, puis d’une réunion entre ces deux personnes et le
patron de France Télécom, celui du STIF (qui gère les transports en Ile de France),
voire le ministre de l’économie. Ils auraient monté une boite avec une
direction financière (ben oui, on fait quoi du pognon stocké dans le
porte-monnaie), une direction juridique et une direction technique. 50 millions
de francs de budget pour les études (20 personnes pendant deux ans) et c’était
réglé…
Je parlais du ministre de l’économie. Ca devait être DSK, à
l’époque (ou Jean Arthuis). Il n’aurait pas été idiot qu’il fasse une petite
réunion avec ses confrères de la zone euro. De toute manière, c’est une
technologie allemande qui
a été utilisée. Au moment où nous nous apprêtions à adopter une monnaie commune
à différents pays, on a réussi à laisser se
développer des moyens de paiement différents dans chacun d’entre eux,
des moyens différents mais fonctionnellement identiques et pas concurrents !
Bravo.
Ils étaient bien enthousiastes… Et on en est à devoir passer
par des acteurs américains (Mastercard et Visa, essentiellement) pour faire un
paiement par carte si on franchit une frontière…
Le 1er avril, il a été autorisé de dématérialiser les titres restaurant : les fameux tickets peuvent être remplacés par des cartes. Près de vint ans, après le lancement de Monéo. Vous savez pourquoi on a mis tant de temps : parce que les sociétés de gestion de ces machins jouent avec le pognon quand les restaurateurs leur remettent les tickets.
On en avait des cibles, pour Monéo ! Mais des foirages tiennent à peu...
Je me suis toujours posé la question de l’intérêt de Moneo par rapport à la carte bancaire si c'est pour prendre des commissions identiques sur les transactions... Une idée?
RépondreSupprimerNon. Ils ont fait une erreur grotesque en pensant faire de l'argent facile. Les banques avaient tout à gagner à faire un système gratuit et reconnu, ne serait-ce qu'en diminuant le coût de traitement des espèces chez eux.
SupprimerTout ce qui est démonétisé emmerde le commerçant.
RépondreSupprimerPremièrement parce-que ça empêche de faire du black.
Deuxièmement parce-que ça entraine des commissions,donc de la perte que je qualifierais d'indue. Pour les cb on paye la loc du terminal, un appel pour certaines transactions, et un appel le soir pour la télécollecte. On va pas se remettre ça sur le dos pour des transactions à 1€20 ou 2€50, faut pas déconner.
La monnaie va aussi bien, même si on perd un peu de temps.
Tout à fait...
SupprimerLe principe était très intéressant. Je ne suis pas fan des pièces et les cartes sont généralement refusées en dessous de 15e, monéo résolvait la problématique mais la mise en place à été désastreuse.. Manque de partenariat, de publicité (auprès des commerçant comme des clients), .. Dommage :/
RépondreSupprimerOuais...
Supprimerj'y ai cru
RépondreSupprimerj'ai chargé ma carte de 20 euros
et j'ai perdu 20 euros
la banque les a gagné
j'ai jamais recommencé
Salut Nicolas,
RépondreSupprimerAvant de connaître l'auteur de cet article (très intéressant par ailleurs), je me demandais qui pouvait connaître autant de détails sur Moneo tout en ayant un point de vue critique et synthétique. J'ai ma réponse ...
Pour ma part j'utilise Moneo régulièrement dans des distributeurs automatiques au bureau et trouve cela pratique. Je viens d'ailleurs de remettre 10 EUR dans le biniou aujourd'hui !
Arnaud B
Arnaud B ? Celui que j'ai connu à l'été 1996 rue Marbeuf ? Comment as tu trouvé ce billet ?
SupprimerMoneo était une belle idée à laquelle j'ai cru jusqu'à ce qu'on annonce que les banques allaient prélever des commissions. Le moyen de paiement facile devenait juste un moyen pour les financiers de gagner de la thune sans rien faire sur la totalité de nos opération de la vie courante. Ça devenait honteux et je n'ai pas suivi.
RépondreSupprimerJe note qu'en Belgique on a un système Bancontact gratuit et qui permet de payer absolument tout, sans limite de montant et sans aucun frais. Ça marche très bien mais je n'ai pas cherché à savoir comment ça fonctionne dans l'arrière boutique.
En tout cas Moneo est un bel exemple de ratage, une leçon pour l'avenir ! :-)
Oui. Ça aurait pu marcher...
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