Veuillez trouver ci-joint
un intéressant article sur le thème : « Faut-il
nécessairement aspirer à devenir manager aujourd’hui ? » La
question est de savoir si on peut faire une carrière professionnelle digne de
ce nom, au sein d’une organisation, sans passer par l’encadrement, d’une
équipe, d’un projet,… ? Ma réponse est clairement positive mais
l’organisation des entreprises, en France, le permet difficilement…
Un des intervenants explique : « Après avoir acquis une expertise, la progression logique
est de devenir responsable d’équipe ou de prendre en charge la gestion d’un
projet. »
Il y a deux autres métiers que l’on peut faire, dont un
joli : c’est expert.
Je suis expert. Il ne s’agit pas, pour moi, de fanfaronner
sur mes extraordinaires compétences mais sur un mot qui figure dans ma fiche de
poste. La rubrique « activité » ne contient que ce mot. La plupart de
mes confrères ont « chef de projet ». Un d’eux a « chef de
projet » suivi du domaine (mais la nomenclature a changé depuis son
embauche).
On sait ce qu’est un manager, voir la phrase ci-dessus, mais
assez peu ce qu’est un expert.
D’ailleurs la confusion entre expertise et compétences me
sidère, surtout quand elle vient de spécialistes. Selon Wikipedia :
« Les compétences sont les capacités d'un
individu à exercer une fonction ou réaliser une tâche, généralement dans le
cadre d'un travail en entreprise. » « L'expert
n'est pas simplement celui qui sait, sur un champ délimité de savoir. Son
expérience reconnue lui permet d'apporter une réponse argumentée à une demande
d'expertise. »
Toute ma vie, j’ai travaillé avec des personnes très
compétentes mais j’ai vu relativement peu de vrais experts, c'est-à-dire de
personnes aptes à utiliser des compétences, plus ou moins fortes, pour faire
autre chose. Un expert en assurance automobile, exemple que je vais utiliser
dans ce billet parce que tout le monde sait plus ou moins ce que c’est, aura de
fortes compétences en automobile et les mettra à profit pour évaluer le coût
d’un accident (ou, plus exactement, des réparations). Ce n’est pas pour cela
qu’il sera un mécanicien ou un carrossier très compétent.
Premier exemple – le faux expert
Le premier type qui m’a été présenté comme expert, dans ma
carrière, en 1993 était un ingénieur système fort compétent qui connaissaient
Windows NT sur le bout des ongles. Cet OS est sorti en juillet, cette année là,
mais Microsoft avait un programme pour former des développeurs à ses nouveaux
produits (à l’époque, c’était la révolution !). Mon collègue d’alors avait
reçu un diplôme qui permettait à l’entreprise d’être partenaire officiel de
Microsoft.
Le directeur du département l’a alors considéré comme expert
pour lui donner un poste qu’on appellerait « transverse »,
maintenant. Il avait comme rôle de faire tourner les logiciels que nous
produisions pour MS DOS dans l’environnement Windows. C’était une erreur, une
double. D’abord, pour être expert, il faut un minimum d’expérience. Ensuite, il
faut savoir utiliser ses compétences, pour apporter une réponse argumentée,
comme ils disent dans Wikipedia.
Deuxième exemple – le compétent qui passe manager
Je parlais d’expert en assurances automobile. Ce qu’on demande
au monsieur est d’estimer le coût d’une réparation et voir si cela vaut le coup
de la faire en fonction de la valeur de la voiture. On ne lui demande pas de la
réparer. De fait, le carrossier sera infiniment plus compétent que lui pour une
réparation.
S’il est bon et dans un grand garage, le carrossier finira
par remplacer le chef d’atelier carrosserie pendant les congés de ce dernier
puis quand il sera à la retraite. S’il s’en sort bien, il finira chef
d’atelier, englobant la carrosserie et la mécanique.
Il sera peut-être un bon chef mais ne sera compétent que
pour la carrosserie, pas pour la mécanique. Comme il passera son temps à
recevoir des clients, à préparer des devis, à communiquer avec les autres
services (commerciaux, facturation,…), il finira par ne plus connaître
parfaitement les deux métiers, d’autant que les techniques évoluent.
Pour peu qu’il soit débordé par sa mission, il sera victime
du principe de Peter : il aura atteint son niveau d’incompétence.
Troisième exemple : le manager qui passe expert
Le patron du garage, constatant que ce dernier ne fonctionne
plus trop, il nommera un nouveau manager pour l’atelier, l’ancien aura pour
rôle l’accueil des clients, la validation des devis,… Mais le management
(gestion des réparations, du personnel,…) sera entièrement fait par le nouveau.
Voila notre ancien avec un rôle d’expert. Tout ce qu’on lui
demande est « d’apporter une réponse argumentée » à des clients.
Quatrième exemple : moi…
J’ai commencé par faire du développement informatique dans
un cabinet de conseil, ce que j’ai fait pendant neuf ans (huit, si on considère
mon année au service militaire, mais j’y faisais en gros le même job). J’ai
donc acquis une expérience en développement informatique avec trois langages et
trois systèmes d’exploitation différents, essentiellement C et MS-DOS, sur la
fin. J’ai aussi acquis une expérience dans le domaine métier, comme on dit, qui
est le nôtre, à savoir ces valeureuses machines où on insère une carte pour
obtenir du pognon.
A la fin, j’étais le seul informaticien dans la société. Il
y avait eu cette crise vers 92 à 95 et la boite s’était recentrée sur le
conseil. Le commercial a alors réussi à me caser comme consultant dans une
boite… Je n’ai plus touché une ligne de code depuis. J’ai ainsi été consultant
pendant douze ans, variant les missions, mais me concentrant, au bout de deux
ans, sur le domaine métier où j’avais le plus de compétence : ces
machines. La chance que j’ai eue, c’est qu’on était très peu nombreux dans le
domaine.
Ainsi, ayant travaillé pendant vingt-et-un an dans un
cabinet de conseil, je me suis retrouvé en permanence casé chez des clients et
je n’ai jamais eu l’occasion de faire du management, même si, à une époque, j’avais
le titre de « consultant manager »… J’ai développé mes compétences
dans les domaines où j’ai travaillé.
Sans le savoir, j’étais devenu un expert. Un expert
généraliste, mais bien un expert. Je suis peut-être le type de moins de
cinquante ans qui connaît le mieux l’environnement de ces machines et qui ne
soit pas arrivé à un poste de direction.
Quand j’ai changé de carrière, me faisant embaucher par un
des mes clients, j’ai pu continuer à faire le métier d’expert vers lequel cette
carrière m’avait entrainé. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai obtenu le titre officiel
dans mon contrat de travail.
Je rappelle la définition de l’expert que j’ai mise plus
haut : « Son expérience reconnue lui
permet d'apporter une réponse argumentée à une demande d'expertise. »
En français ça peut donner, par exemple :
-
tiens, voila un dossier, démerde toi
avec,
-
dis donc, le bigboss voudrait qu’on fasse
ça, dégrossis donc le dossier,
-
ouh là là il faut que j’aille en réunion,
je ne connais rien au sujet, toi non plus, tu vas m’accompagner,
-
aie, bordel, on a un audit de la
sécurité, tu vas les accueillir et négocier avec eux,
-
putain, il y a les clients qui n’arrêtent
pas de se plaindre de tel truc, je n’ai pas le temps de regarder, tu peux le
faire ?
Cinquième exemple : moi.
Ben oui ! C’est pour symboliser l’échec du manager.
Après avoir été embauché, la boite a été réorganisée. Un
nouveau « domaine métier » est arrivé dans le service transformé en
direction. Vu que c’était un sujet que je connaissais un peu vu mon passé de
consultant, on a dit : « hop, c’est pour toi. » Il fallait que
cela soit quelqu’un du service, pour des raisons politiques, et j’étais le
moins incompétent sur le sujet.
Je suis devenu manager officiellement.
Pour l’anecdote, j’ai recruté un consultant pour m’assister.
Il était tellement compétent et je n’avais pas de temps à lui consacrer parce
que j’avais mon job d’expert à faire. Il a fini par tout faire et c’était très
bien ainsi. Il était (et est toujours) très bon. Il a été reconnu par tout le
monde comme responsable du domaine, à la grande satisfaction de tous les deux,
lui ayant pu faire ce qu’il voulait, encadrer une équipe, tout en multipliant
ses compétences dans un domaine à un point qu’il est maintenant notre expert
dans ce domaine. Comme il est bon, il peut à la fois être expert et manager. La
difficulté va commencer, pour lui, s’il veut continuer à monter dans la
hiérarchie, avec une difficulté : il s’enferme dans son domaine de
compétences, d’expérience et d’expertise,… alors qu’en lançant le projet sans
rien connaître, j’avais renforcé mon expertise généraliste. Hop ! Un
domaine de plus…
J’ai été manager quelques années sans absolument rien
manager.
L’expert ! Vous n’y comprenez rien ? Pas grave,
moi non plus.
Un type qui bosse dans un domaine depuis ans pourra être
considéré comme un expert dans ce domaine. Le hasard ou la volonté fera qu’il
pourra choisir la suite de sa carrière :
-
continuer dans le même domaine,
-
devenir manager,
-
devenir expert, officiellement,
dirais-je.
Dans le premier cas, il aura un bon niveau d’expertise mais
risque de perdre le niveau de recul nécessaire pour avoir un job vraiment
intéressant. Prenez mon expert NT que je citais. Je l’ai revu 12 ans plus tard.
Les technologies Windows étaient bien répandue, les boites n’avaient plus
besoin de véritables purs experts techniques, d’autant que les développements s’orientaient
vers les technologies web. Il faisait un travail de merde, ou, plus exactement,
qui ne m’intéresserait pas du tout. Il est concentré sur l’interface entre le
niveau applicatif et les périphériques des machines. Il avait passé les vingt
premières années plongé dans du code informatique sans voir le monde bouger
autour de lui.
Devenir expert ?
J’aime beaucoup la définition de l’expert sur le site
de la Fédération des sociétés d’expertise. Elle pourrait s’appliquer à tout
type d’experts : « Il n’existe pas de
formation spécifique pour devenir expert : il n’y a tout simplement pas d’école
d’expertise en France. L’expertise s’acquiert par l’expérience, une expérience
d’au moins dix ans, dans un secteur technique, à l’issue, dans la
quasi-totalité des cas, d’une formation d’ingénieur, d'architecte, d'école de
commerce... » Ils précisent ensuite qu’il faut une formation ou une
expérience d’au moins deux ans acquises avec un autre expert
C’est bien ainsi que je le conçois. Etre expert, c’est connaître
un métier mais aussi des éléments d’autres métiers, comme le marketing, le
juridique, le back office, le pilotage informatique, la maintenance du
matériel,…
Finir une carrière
On pense toujours que c’est important de faire une belle
carrière… Mais ce qui est important est de bien la finir. J’ai cité plusieurs
exemple, comme ce mécano qui passe chef d’atelier mais perd son boulot dans la
pratique, un peu comme moi qui fut manager peu de temps…
Tiens ! Le jeune qui m’a remplacé, il a de fortes
compétences métier et techniques et je ne doute pas de sa capacité à manager.
Par contre, il risque de piétiner s’il continue à vouloir faire une carrière
traditionnelle en remplaçant son propre chef (qui est le mien aussi, d’ailleurs)
quand ce dernier partira parce qu’il n’aura aucune compétence métier sur ce qui
fait, en gros, les deux tiers du service, les machines pour tirer du pognon et
leurs serveurs de gestion. S’il veut poursuivre une belle carrière, il devra
prendre l’opportunité d’une réorganisation importante ou arrêter franchement la
technique pour travailler au siège de la banque. Ou changer de boite.
L’autre, mon ingénieur système NT a fait une belle erreur.
Il s’est dit que Windows NT serait l’avenir, vers 1992. « NT » n’existait
pas à cette époque. On parlait de « Chicago », le nom de code du
projet chez Microsoft. Il voyait ça comme l’avenir mais a oublié que l’avenir
ne s’arrêtait pas à cinq ou dix ans. D’ailleurs, dans notre domaine, il a fallu
attendre Windows XP pour qu’un OS fasse l’unanimité. Il s’est enfermé. Au bout
de quelques années, la boite a été rachetée par un concurrent ce qui fait que
la France n’avait plus le leadership sur les choix technologiques. Il s’est
retrouvé ingénieur système en tant que manager d’une équipe de personne, dans
le monde Windows. Que fera-t-il dans les dix prochaines années ?
S’il faut accumuler les compétences techniques pendant les
dix premières années, il faut ensuite les mettre à profit pour faire autre
chose… Et tout le monde ne peut pas être chef de service à 35 ans, sinon le
tertiaire serait rempli de chefs de service. Et tout le monde reste chef de
service pendant 25 ans…
C’est mathématique.
Pour conclure, je vais revenir à l'article que je mets en lien au début. Les deux personnes interrogées sont spécialisées dans les ressources humaines. Une est coach, l'autre professeur en "ressources humaines". Elle donne des avis sur le management sans en avoir l'expérience. Aucune des deux n'a à faire de management.
Sont-elles des expertes ? Des vraies. Sans la moindre compétence dans leur domaine d'expertise.
Pour conclure, je vais revenir à l'article que je mets en lien au début. Les deux personnes interrogées sont spécialisées dans les ressources humaines. Une est coach, l'autre professeur en "ressources humaines". Elle donne des avis sur le management sans en avoir l'expérience. Aucune des deux n'a à faire de management.
Sont-elles des expertes ? Des vraies. Sans la moindre compétence dans leur domaine d'expertise.
ça c'est le lien pour rire :
RépondreSupprimerL'expert en réunion
Très bon. (Je n'ai vu que les deux premières minutes, ça bloque avec l'iPhone. Mais c'est bien une partie de mon job...)
SupprimerIntéressant ton article! C'est toujours intéressant d'avoir l'avis d'une personne qui fait part de son expérience.
RépondreSupprimerCe billet a sans doute une résonance un peu plus particulière pour moi, puisque (si tu as le temps de lire mon modeste blog) je vais changer de job prochainement...
Bref, merci!
Je lis ton blog mais n'avais pas vu. Je lis trop de blogs pour percuter. J'y retourne.
Supprimeroh, je n'en parle peut-être pas de manière explicite... (je me relis à l'instant sur mon blog... :-) )
SupprimerUne chose est clair dans ma boite, les experts ne sont pas manager et vice-versa. Si je n'ai rien à reprocher aux désignés "expert" dans le sens expert métier, certains managers devraient s'occuper d'un McDo, et encore je suis méchant avec les managers de McDo et le pire c'est quand ils veulent se mêler au technique . Le management laisse à désirer en France, il y a beaucoup de branle-manette plus occupé à s'occuper d'indicateur, mais ce n'ai pas leur faute.
RépondreSupprimerC'est un peu le problème : c'est de la faute à personne.
SupprimerJe viens de voir ma grosse faute, j'ai honte.
SupprimerBonjour Nicolas,
RépondreSupprimerL' "expert" en automobile n'est pas forcément bien choisi en automobile à titre d'exemple. Si la quasi totalité est vraiment "experte" en carrosserie (connaissance des déformations) il n'en est pas de même pour la mécanique. J'en ai même vu qui ne savaient pas qu'il y a un régulateur intégré à la pompe à huile, un autre "expert" ignorait que le fait de souder modifiait la structure moléculaire des pièces et donc que certaines pièces étaient strictement interdites à la soudure pour réparation... La liste est longue et tu as parfaitement raison de préciser que l' "expertise" sans pratique technique n'est rien.
C'est pour ça que j'ai choisi cette profession et que j'ai rebondi sur le carrossier qui se retrouve chef d'atelier en mécanique. Un métier d'expert ne nécessite pas nécessairement un très haut niveau d'expérience ou de compétences.
SupprimerJ'ai personnellement vécu ces deux situations. Le premier a été viré pour incompétence par son patron et le deuxième a eu de grandes peines à se maintenir à flot et à conclu à : on sait pas!
SupprimerIls manquaient à la fois d'expérience et de compétence dans leur domaine.
Compliqué. En plus c'est ce qui engendre de la jalousie dans les boîtes. Dans la mienne, je suis un des rares à pouvoir rédiger des rapports mais les collègues ont du mal à comprendre que j'ai besoin d'eux.
SupprimerQuand c'est dans la même boîte, d'accord c'est parfois compliqué, quoique...
SupprimerLà, en l’occurrence, il s'agissait d' "experts" mandatés par les assurances pour des casses engendrant parfois de très gros frais sur des matériels valant parfois très cher.
On pourrait penser que ...
J'en ai eu un autre qui a été très honnête. Il m'a dit : Il y en a pour combien ? Moi, je suis expert de telle spécialité. Il y en avait pour la moitié de la valeur vénale de la machine. Donc, faîtes la réparation et envoyez la facture.
Comme ça, je préfère. Tout est clair.