Quand j’ai commencé à bosser, il y a une petite trentaine d’années,
on faisait parfois des réunions. Les directeurs se retrouvaient périodiquement
en Comité de Direction et les propriétaires de la boite en Conseil de
Direction, seule instance pouvant réellement prendre des décisions importantes.
T’as vu ? A ce stade, tu as vu ça, ça nous fait déjà deux CODIR… Le COmité
de DIRection et le COnseil de Direction.
Au fil de ma carrière, soit du fait de ma montée dans les
hiérarchies soit du fait de la modernisation
du monde de travail ou de son anglicisation, j’ai vu fleurir un tas d’instances.
Tiens ! Les instances ! Avant quand on avait une décision à prendre,
on la faisait remonter à la hiérarchie. Maintenant, ce sont les instances qui doivent trancher.
Je n’ai pas compris les différences entre les deux CODIR
rapidement mais j’ai découvert une instance intermédiaire : le COMEX, le Comité
Exécutif. Ca fait bien anglo-saxon… Ces gens sont bizarres. Les Directeurs
Généraux sont des CEO. Le Comex regroupe le DG et les représentants des
actionnaires. Dans les grosses boites, on a aussi le Conseil d’Administration,
c’est l’équivalent du Conseil de Direction. On appelle ça le Conseil. Quand les
instances ne suffisent pas, on réfère au Conseil. Le graal de l’ingénieur débutant ou du consultant est
quand son dossier est soumis au Comex ! Ca veut dire que des gens
importants vont l’étudier longuement et, s’ils le valident et que ça coûte des
sous, ils vont le transférer au Conseil. Pendant des années, ça a été mon job
de faire des notes pour le Comex ou le Codir. Parfois, le Comex est Coord ou
Cocord : Comité de Coordination. C’est le machin qui décide de ce qui doit
passer au Coord. On a aussi le Comité Stratégique, le Costrat qui définit les
grandes orientations sur le long terme et, bien sûr, l’Assemblée Générale qui
est globalement un machin statutaire qui décide de l’organisation et des
membres du Conseil… Toujours est-il que ce ne sont pas ces instances de
direction des entreprises qui m’intéressent aujourd’hui mais les réunions
propres au commun des mortels, vous et moi, d’autant qu’on y retrouve le Coord,
le Codir et qu’on y introduit le Copil, le fameux Comité de Pilotage.
Nos réunions… Faire des réunions était mal vu. On passait
pour des gens qui perdaient du temps ce qui n’était d’ailleurs pas totalement
faux mais certaines personnes ne savent pas traiter des sujets par écrit.
Toujours est-il que, pour faire sérieux, les réunions se sont transformées en
Groupe de Travail, ou GT (prononcez comme ça se prononce : gété). Dans les
boites américaines, les GT sont parfois des Workshop, mais gété est plus facile à prononcer et à écrire, l’anglicisme ne prend
pas trop, sauf en situation de crise,
quand le Workshop devient une Task Force
mais c’est un peu un abus de langage.
En principe, les GT sont dédiés à un sujet. Du genre : « Tiens !
Aujourd’hui, on va travailler sur tel truc ». Mais, comme il n’est pas
facile de trouver un créneau horaire disponible pour tout le monde, on en profite
pour caser plusieurs points et ça devient rapidement un foutoir. Avec ma
vieille expérience, je mets les points importants à la fin, les gens sont
fatigués, n’écoutent pas et valident facilement ce que vous dites…
Pour trouver un créneau horaire, les geeks utilisent l’agenda électronique. C’est facile, ils rentrent
les noms des participants et la machine trouve des heures où tout le monde est
disponible. Le problème est que cela ne fonctionne pas. Les agendas ne sont pas
partagés entre les entreprises. C’est anecdotique mais c’est source de tensions
dans les boites. Les organisateurs font la gueule quand vous ne venez pas à une
réunion car ils pensent qu’une convocation par mail si vous êtes disponible électroniquement est valable.
Pour ma part, quand je reçois une invitation, je clique toujours sur « accepter »
ce qui fait qu’il m’arrive d’avoir jusqu’à trois réunions en même temps (j’ai
réussi à atteindre le « quatre », une fois).
Parfois, les patrons n’aiment pas les GT. Ils ont l’impression
que les gens concernés délèguent à des incompétents, ce qui est d’ailleurs le
cas. Du coup, ils interdisent de faire des Groupe de Travail et réclament des
Groupes d’Experts. La première fois qu’un de mes directeurs a pris cette
décision, j’étais vachement fier, j’étais passé du statut de travailleur à
celui d’expert. Dans les faits, cela ne changeait strictement rien…
Quand les participants sont dans plusieurs sites, souvent
distants, on fait les GT par téléphone, voire avec des machins de visiophonie
mais la technique ne suit généralement pas dans les entreprises (les postes de
travail ne sont pas équipés, il faut réserver des salles équipées et comme on
ne sait jamais comment cela fonctionne, on met une demi-heure à lancer la
réunion). Les réunions par téléphone sont des audioconférences, qu’on appelle
donc audio. Il faut un numéro de
téléphone spécial avec un code pour pouvoir s’y joindre. L’anglicisme « call »
est parfois utilisé dans les entreprises industrielles françaises mais pas trop
dans le service. On préfère donc « audio ».
On en est à un point où, pour traiter un sujet précis, on ne
dit plus « organisons un GT » mais « organisons une audio »,
même si les tous les gens travaillent dans des bureaux proches. Les audios ont ainsi remplacé les GT mais
également les conversations téléphoniques. Cette après-midi, j’ai une audio
avec une collègue d’un autre site inscrite à mon agenda. Elle m’envoie un mail
la semaine dernière pour me demander quand j’étais disponible. Je dis
maintenant ou mercredi prochain, lundi et mardi, je suis surbooké. Elle m’a
donc envoyé une invitation après avoir réservé un numéro d’audio… Plutôt que de
m’appeler directement…
Les chefs ne sont pas fous, seulement un peu dérangés. Après
avoir interdit les réunions fourre-tout où l’on abordait un tas de sujet, ils
ont bien remarqué qu’on ne voyait plus quelles décisions étaient prises. Ils
ont donc décidé de mettre en œuvre ces fameux Comités, qui se tiennent à une périodicité fixe et qui sont très
formalisés. Ils aiment bien les slides,
officiellement « présentations PowerPoint », qu’on appelait transparents dans le temps et que
certains appellent planches. L’anglicisme
a gagné. Dans les slides, on a donc des tableaux avec des cases et des
indicateurs, des petits soleils ou des petits nuages selon le moral, l’avancement,
les incidents… Cela fait très professionnel.
Voila. Vous pouvez
prendre des notes, hein !
Nous avons donc les GT ou audios où sont traités les sujets
un par un. Pour coordonner le tout, les chefs ont dit : on va faire un
Comité de Pilotage, un COPIL. Dans les boites, on voit plein de Comités
différents, mais le Copil prédomine et est de loin le plus ridicule. La
première fois que j’ai participé à un Copil, j’étais fier ! Il était
rattaché au Coord, lui-même directement rattaché au Codir.
On a les Copil avec les clients, les Copil avec les représentants
des actionnaires, les Copil avec les fournisseurs, les Copil avec les
opérationnels,… Néanmoins, faire des
Copil nécessite de déplacer des gens importants avec un pouvoir de décision.
Pour les préparer, afin que les discussions ne partent pas en couilles, il a
fallu faire des comités intermédiaires, des Comités de Coordination, des Coord,
donc. Un observateur avisé aura remarqué que nous avons deux niveaux de Coord.
Un pour préparer le Copil, un autre pour préparer le Codir.
Parfois, il faut faire travailler ensemble des clients et un
fournisseur ou des fournisseurs. Nous avons donc des réunions tripartites, qu’on appellera « tripartites ».
Quand ces réunions s’étalent dans le temps, il faut des Comités pour suivre les
travaux. Nous avons donc les Comités de
Suivi, ou Cosui.
Nous travaillons sur des projets, gérés (planning,
coordination,…) par des chefs de projet. Les chefs de projet ont donc des
Comités avec les clients, des Comités
Projet, ou Copro. Il a aussi des Comités avec chacun de ses fournisseurs,
ce sont également des Copro.
Dans l’informatique, on reçoit des logiciels, on les teste
et on relève les incidents pour demander des corrections aux fournisseurs. Nous
avons donc des Comités Homologation
(qui n’ont pas de petit nom, c’est bien triste) pour valider chaque point
relevé : est-ce bien un incident ou ne serait-ce pas plutôt une évolution ?
Est-il bien corrigé ? Le Comité Homologation réfèrera au Copro qui,
lui-même, réfèrera au Coord, qui réfèrera au Copil, qui réfèrera au Coord du
dessus qui référera au Codir…
Mais, parfois, il y a des conflits entre clients et
fournisseurs. Il faut donc des instances décisionnelles, avec des Directeurs,
donc. Nos directeurs et ceux du client ou du fournisseur. Ce sont des Comité de
Direction, des Codir supplémentaires, donc. Mais on ne peut pas déranger les directeurs
pour un oui ou pour un non. Il faut donc des réunions intermédiaires, avec des
directeurs de projet (ce sont des faux
directeurs, ils ne figurent pas dans l’organigramme de l’entreprise mais
font la coordination entre les chefs de projets et la direction). On appelle ça
des Comités de Pilotage, donc des
Copil.
Il s’agit de s’y
retrouver.
Ce n’est pas compliqué pour un type normal, qu’il soit chef
de projet ou directeur. Un type a son
Comité et trois ou quatre comités auxquels il est invité.
Cela devient délirant au niveau de l’organisation générale
(non pas que cela soit critiquable mais il faut le gérer) et surtout quand on
occupe un niveau intermédiaire. Je participe à sept Copro, un Copil, un Cosui,
un Comité homologation, un « point de coordination » (on n’a pas
trouvé de nom pour celui-là), tous toutes les deux semaines... Sans compter les GT et autres audios...
Le pire est que toutes ces réunions sont réellement utiles...
Dans un prochain billet, on traitera de la problématique des
salles de réunion…
La vraie question est : y a t'il un RD (relevé de décision) qui reprend les PA (plans d'actions) avec des DL (deadline) et des owners (responsables) qui veillent à ce que le contrib (contributeur) fasse bien ce qu'il censé faire! notons que certains ajoutent dans ces suivis le fameux outstanding actions sans quoi le DP (directeur de projet) serait un has been!
RépondreSupprimerje te propose de monter un think tank ASAP
Tiens ! Chez nous, on utilise pas RD, PA, owners, contrib et très peu deadline. On a bien des listes d'actions gérées formellement mais on ne s'encombre pas avec les formalités. On fonctionne plus par "tableaux de bord" mais on a la chance d'avoir une PMO.
SupprimerJ'avais fait des billets au sujet des comptes rendus de réunion et de tous ces machins pour démontrer qu'il ne servent à rien, notamment le relevé de décisions (hors nouvelles actions, mais uniquement à titre indicatif pour que les gens se rappellent ce qu'ils ont à faire). Par exemple, pas plus tard qu'hier, j'ai mouché un interlocuteur (dans un GT, donc pas un Comité décisionnel) qui voulait monter un Comité de suivi parce que le projet était en retard. Je lui ai répondu : oui, vous deviez contractuellement un livrable (autre terme à la mode) à un fournisseur pour juillet 2014, vous le livrerez en mai 2015 et même si je comprends bien les raisons du retard, on ne va pas s'emmerder avec des comités si vous ne respectez pas un engagement contractuel donc engageant financièrement l'entreprise. Et paf ! Froid dans la salle. Alors, j'ai ajouté : ce livrable est par nature le seul jalon que nous ayons actuellement, le seul livrable attendu (il conditionnera le reste), pourquoi voulez-vous qu'on mette en place un tableau pour le suivi avec le comité ad hoc... ?
re, désolé je viens de relire ton article. Pour les salles de réunions? tu parles de cette manie de les appeler par un petit nom? si bien que quand tu demandes ou est la salle Voltaire, on te répond à coté de la salle Rousseau...c'est vrai que des numéros correspondant à numéro de l'étage plus un numéro incrémenté de 1 en 1...c'était pas joli. Pratique mais pas joli! J'en salive d'avance, de ton billet :)
SupprimerEn général lorsque je vois que ton billet est longuet, pas l'ex ministre corrompu, je vais directement à la fin et ce que j'ai fait avec celui là.
RépondreSupprimerL'avant dernière phrase m'a fait comprendre tout le reste sans le lire.
Pas possible.
SupprimerJ'ai lu....enfin j'ai lu....disons que j'ai parcouru ton billet....en réunion.
RépondreSupprimerQuoi ?
Je me demandais en le parcourant distraitement (ben oui, je bosse quand même un peu) quand tu allais évoquer le problème de la réservation de la salle de réunion. Apparemment il va falloir attendre un peu.
Et ces noms de salles ! Peuvent pas seulement y mettre un numéro bordel !
Cela doit bien faire une vingtaine d'années que je bosse dans la même boutique et il ne se passe quasiment pas de semaine sans que je me paume dans les couloirs.
Ce n'est pas tant que je n'ai pas le sens de l'orientation que, je ne sais pourquoi, des ânes décident régulièrement qu'il faut renommer les salles.
Il me semble qu'une réunion sur le sujet s'impose.
Oui, on pourrait faire un roman sur le nom des salles. Mais dans ma boite, elles ont un numéro !
SupprimerUne boîte avec des salles de réunion à numéros !
SupprimerLe rêve !
Z'auriez pas besoin des fois, comme ça par pur hasard, d'un gars qui sache en même temps lire des billets de blogs et vaguement écouter ce qui se dit en réunion ?
Je t'envoie un mail (si j'ai ton adresse dans mon iPhone) pour une anecdote sur les numéros de salle (que je ne peux pas raconter en public).
SupprimerJe lis souvent les blogs en réunion mais je garde les longs billets pour plus tard. J'arrive à faire plusieurs trucs en même temps parfois. Ce soir, je rédigeais un mail tout en discutant travail avec un collègue et en surveillant une discussion entre deux autres, trois sujets chauds bien différents mais je maîtrise assez pour ne pas avoir besoin de concentration. En réunion, ce n'est pas toujours le cas.
ça c'est du racisme
SupprimerPour ma part, ll y a les Comités de Pilotage, les Comités d'Administration, les Bureaux Exécutifs, les Comités de Projet, les Réunions de Taskforce, les Réunions de working Groups, les Comités Opérations, les Comites exécutifs et puis on ne s'en sort plus comme avec les emails
RépondreSupprimerC'est bien, aussi !
SupprimerL'astuce est de gérer ses mails pendant les comités... (ce que fait tout le monde sauf moi, j'ai d'autres techniques).