06 juin 2012

Réseau Social d'Entreprise : besoin ou usage ?

Dans son dernier billet, Pierre rebondit (encore !) sur le mien d’hier midi, à propos des Réseaux Sociaux en Entreprise. Il estime que cela ne sert à rien. Il enfonce le clou : « Toutes les boites qui mettent en avant ce type d’outil de copinage interne me paraissent louches. » Sur ce point, on est d’accord. Des outils de réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter ne servent pas à grand-chose.

Il en rajoute une couche : « En revanche, il n’y a pas besoin de RSE car on n’est pas au boulot pour se faire des amis ou des linckers ou des followers. » Il a évidemment raison. « On est au boulot pour produire ce pour quoi on est payé. » Evidemment ! (bis)

Dans ma boite, les ingénieurs utilisent une espèce de petit Twitter où ils indiquent les manipulations qu’ils prévoient sur les différents serveurs de test ce qui permet à tout le monde de connaître les « niveaux techniques » et surtout les plages d’indisponibilité. C’est un réseau social. On avait un vague besoin et c’est devenu un usage.

En fait, tout dépend ce qu’on appelle un Réseau Social. Dans mon logiciel de messagerie professionnelle (Lotus Notes), j’ai la possibilité de faire autre chose que d’envoyer des mails, notamment de gérer mon agenda. Dans la mesure où, mutuellement entre collègues, on peut consulter nos agendas et se proposer des rendez-vous, une telle application n’est-elle pas un embryon de Réseau Social ?

Le Réseau Social n’est pas que la possibilité de se faire des potes et partager des trucs inutiles (ou pas), c’est aussi un truc qui peut avoir une utilité concrète.

A propos des outils qu’on utilise en entreprise, Pierre ajoute : « des services […] dans un portail intranet suffisent largement pour aider les communautés de fonctions ou d’intérêt de fonctionner ». N’est-ce pas un réseau social ? Les disponibilités dans mon agenda sont… disponibles pour tous mais seul un « groupe d’amis » (ma proche hiérarchie et mes collègues proches) a la possibilité de consulter les différentes entrées présente dans mon calendrier.

Ou est la frontière entre le service de l’Intranet et le Réseau Social ?

Par contre, Pierre a parfaitement raison sur un point : on n’a pas besoin d’un réseau social ouvert (type Twitter ou Facebook où l’on peut s’abonner à un tas de gens) mais on a besoin d’outils au sein même des équipes (ou de manière transverse pour certains projet). Ces équipes doivent être réduites (à la limite définie par la hiérarchie) et le papotage futile doit y être proscrit.

Pierre finit cruellement : tout cela n’est que de la foutaise mis en place pour des raisons débiles et foireuses. Cela nous emmène à débattre : d’’où vient tout cela ? En commentaire, il me précise qu’il faut faire la distinction entre l’usage et le besoin.

Et il a parfaitement raison. Twitter et Facebook doivent leurs succès respectifs au fait qu’on en a usage parce qu’ils ne correspondent pas à un besoin. Or, en entreprise, les projets se font en fonction des besoins pas des usages potentiels.

Parfois, c’est facile. Suite à une réorganisation, ma boite devait changer son mode de gestion des congés. Elle a donc décidé d’utiliser un service Internet qui nous permet de poser de nos congés, à notre hiérarchie de les valider et au service des RH de décompter automatiquement les jours, entre les congés payés, les RTT, les jours d’ancienneté et tout ça.

L’application est très bien faite. On fait tout en quelques clics. Quand on a une action à faire (ce qui est le cas uniquement quand le chef refuse les congés, ce qui m’arrive parfois, quand je me trompe…), on reçoit une notification par mail. On peut consulter les dates de congés des autres, soit par service, soit par direction, soit pour toute la structure juridique (nous sommes une grosse centaine, ça reste gérable). C’est une espèce de petit réseau social d’entreprise…

L’entreprise avait besoin d’une application. Nous en avons facilement trouvé l’usage (sinon, on ne peut pas partir en congés…).

Par contre, il aurait été plus intéressant que ce machin soit intégré à notre messagerie qui gère aussi notre agenda ! En effet, quand je prends des congés, il faut aussi que je bloque les journées correspondantes dans l’agenda et je programme un message de réponse automatique pour que ceux qui m’envoient des mails soient avisés de mes absences.

Nous avons un autre Intranet qui gère les notes de frais. Quand je vais en déplacement, j’envoie un mail à la secrétaire pour qu’elle me réserve un moyen de transport et un hôtel. Ensuite, il faut que j’inscrive mon déplacement dans mon agenda ainsi que toutes les réunions que je fais pendant la période (quitte à aller loin, je préfère cumuler les réunions), celles que j’ai organisées en utilisant les agendas partagés des autres. Etant absent du bureau pour au moins deux jours, j’active le machin automatique de réponse en cas d’absence.

Au retour, il faut que je me connecte au machin de gestion des notes de frais, que je décrive à nouveau ce que j’ai fait et que je saisisse les notes de frais. Ca serait quand même plus simple si je le faisais directement dans le machin qui m’a permis d’organiser mon déplacement et mon voyage.

Hé ! T’as vu ? Je viens de définir un besoin.

Il s’agit globalement d’intégrer à l’agenda partagé un machin pour gérer les congés, les absences, les réservations, les notes de frais, … Vous me lancez, en une journée, je vous sors un cahier des charges fonctionnel de 50 pages.

N.B. : sans déconner… C’est mon métier et tu as vu ma vitesse pour produire des billets de blog. En prime, je peux recommander un raccordement au site de la RATP pour organiser mon accès à la gare ou à Orly. Je peux faire mieux, même : si mon déplacement est à Lyon, je fais une interface avec Facebook pour fêter la naissance du bébé Blachier avec les socialos Lyonnais Trub, Sassa, Jean, Marco et Bembelly.

Nous en trouverions facilement l’usage, c'est-à-dire une "vraie utilisation". Ce machin deviendrait obligatoire pour les congés et les notes de frais. Il est hors de question que je ne prenne pas de congés ou que je ne me fasse pas rembourser mes frais…

Le besoin retrouve l’usage

Ce qui n’empêche pas Pierre d’avoir parfaitement raison. Il n’y a aucun « usage » d’un réseau social traditionnel et ceux qui en définissent le « besoin » ne sont que des doux rêveurs (pour rester poli) qui n’ont aucune connaissance de la réalité du fonctionnement au quotidien des salariés d’une entreprise.

Ce n’est pas le cas que des réseaux sociaux mais de toutes les applications de l’Intranet.

Tiens ! Nous avons une application de gestion des documents. Or, c’est beaucoup plus simple de gérer les documents sur les lecteurs réseaux partagées (d’un point de vue méthodologique c’est une hérésie mais je ne vais pas reparler de normes, c’était l’objet de mon billet d’hier ou d’avant-hier). Nous avons bien besoin d’un système de gestion de la documentation mais nous n’avons pas l’usage de celui qui est proposé.

Les types ont formulé un besoin : trouver facilement de la documentation et l’archiver sérieusement pour respecter la méthode.

Ca vous parait normal et c’est logique. Nous avons besoin de trouver facilement de la documentation et de respecter la méthode. La méthode est rendue obsolète par le mail : ce qui est important est la date à laquelle nous avons transmis le document à ses destinataires… Et quand on cherche de la documentation, on aurait besoin d’un machin comme Google pas de fouiller dans une arborescence établie au gré des mouvements des neurones de celui qui l’a archivé.

Ainsi, l’outil ne répond même pas efficacement au besoin exprimé.

Mais surtout, le besoin n’est pas là. Nous avons besoin de produire de la documentation (c’est notre métier, ce n’est pas « archiver de la documentation » ni même « consulter la documentation archivée ») et la transmettre à des lascars.

Voilà le besoin. L’usage est : nous stockons les documents sur des disques durs (éventuellement partagés et organisés selon notre méthode de travail) et nous les transmettons par mail (ou nous transmettons par mail le lien vers le disque partagé) à des lascars.

Nous le faisons grâce au clic droit de la souris et de l’option « envoyer par mail ». C’est notre besoin. Les versions officielles (celles qui mériteraient d’être archivées parce qu’elles ont été transmises à des tiers) sont archivées dans la messagerie.

L’usage correspond parfaitement au besoin principal. Tout le reste n’est que foutage de gueule sauf pour un point : le partage de la documentation avec ceux qui ne sont pas destinataires du mail, selon son niveau de confidentialité… mais ce n’est pas « mon » besoin principal, c’est un autre besoin : mettre à disposition d’autrui de la documentation « officielle ».

Je vais donc répondre à Pierre. Le problème n’est ni l’usage ni le besoin. L’usage se forme en fonction de ce qui est disponible et des « tics » des utilisateurs. Le problème essentiel est l’expression de besoin. La difficulté est que le type des méthodes ou l’informaticien va imaginer le besoin des autres. C’est souvent le cas en informatique.

On peut l’illustrer avec les réseaux sociaux grand public. Ceux qui ont le plus de succès, comme je le signalais plus haut, sont ceux qui ne répondent à aucun besoin et qui ne servent, finalement, à rien : Twitter, Facebook, Instagram, Foursquare… Les concepteurs ne se sont pas imaginés les besoins des gens. Ils se sont dits : tiens ! Ca serait rigolo d’envoyer des messages courts à des inconnus (ou pas), de partager des machins avec des copains, de partager photos immédiatement quand on les prend ou de dire aux autres quand on est dans un endroit particulier.

Il n’y avait aucun besoin. On a accepté l’usage.

Elle n’est pas belle, ma conclusion ?

Si, hein !

Mais totalement hors sujet. Je ne parle pas des réseaux mais de toutes les applications de type Intranet (ou Extranet, d’ailleurs) que nous pouvons utiliser en marge ou au cœur de notre métier.

Dans un monde idéal, on se connecterait le matin en arrivant au boulot et on aurait directement accès à toutes les applications (actuellement, où je bosse, il faut que je me connecte à chacune d’entre elle, ce qui ne pose pas de problème, les identifiants sont mémorisés sur mon poste, sauf  pour Lotus Notes). Dans un monde idéal, l’identifiant du salarié (ou son matricule ou son adresse mail) serait utilisé pour toutes les applications utilisées.

Or, que disait-t-on quand on s’amusait à commenter la guerre entre Facebook et Google+ ? Que la vraie bataille n’était pas celle du réseau social mais de l’identifiant numérique de l’Internaute. On retrouve l’identifiant du salarié ! Que sont Facebook et Google+ ? Des machins permettant de papoter en se connectant avec un identifiant qui donne accès à des applications internes ou externes…

La boucle est bouclée…

Et que fais-je au quotidien sur mon PC ? Avec un clic droit sur ma souris à partir du « noyau » de ce PC, l’explorateur, j’envoie des mails à des lascars pour leur transmettre des documents. En quelques clics sur l’outil de messagerie, je gère mon emploie du temps. J’utilise l’adresse mail de cette messagerie à partir de Firefox pour accéder à des applications externes, des intranets, des extranets, …

Typiquement du Réseau Social…

Je fais tout ça à vue de nez depuis plus de quinze ans…

Ainsi, sans le savoir, ça fait plus de quinze ans que j’ai l’usage d’un Réseau Social d’Entreprise sans le savoir et sans même savoir que j’en avais le besoin.

Les outils évoluent doucement mais qu’importent les outils…

Le Réseau Social d’Entreprise en tant que tel, juste pour communiquer sur le fait qu’on est modernes : non. Le Réseau Social d’Entreprise en tant qu’outil au quotidien : oui. On y est. On en a l’usage.

Je ne sais pas qui définira les prochains usages et les prochains besoins…

(illustration)

2 commentaires:

  1. "Il n'y avait aucun besoin. On a accepté l'usage". C'est la phrase clef. La réussite du web consiste à inventer des usages sans étudier les besoins. Facebook, personne n'en avait besoin. Je vais l'afficher chez mes développeurs comme une maxime !

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    1. Oui.

      Tiens ! Je viens de faire un nouveau billet. J'ai inventé un usage du RSE sans aucun besoin...

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