« Quelles
seraient les étapes de la décomposition numérique ? »
demande l'ami
Pierre, s'interrogeant toujours comment les entreprises et
administrations françaises vont passer à côté du numérique. Si
l'on est d'accord sur le fond, je serais moins formel que lui sur les
étapes en question. Je parlerais plutôt de syndromes de la
décomposition numérique.
Premier syndrome : quand on est
satisfait des technologies utilisées
Qu'on soit à la pointe de la
technologie utilisée ou qu'on utilise des technologies obsolètes,
on peut trouver des motifs de satisfaction. Par exemple, les vieilles
machines peuvent être beaucoup plus robustes que les nouvelles avec
des applications beaucoup plus simples à concevoir.
Les technologies de pointe ne sont
utiles que pour ce qu'elles apportent. Elles ne servent à rien en
tant que telles.
Il faut toujours se demander si les choix sont bons.
Deuxième syndrome : quand on
cherche le progrès technologique pour le progrès technologique
Au bureau, nous avons encore des
serveurs en Windows Server 2003. Je discutais avec un collègue. Du
genre : « fait chier, il faut qu'on
passe à Windows Server 2008 », ça va nous faire un
chantier complémentaire. Il m'a répondu : « ah
mais faut passer directement à Windows Server 2012, c'est génial et
tout ça. » Ce à quoi je lui ai rétorqué ce qui
voulait dire, en gros : « hé !
Connard, qu'est-ce qu'on en a à cirer ? Les applications
développées par notre fournisseur le sont pour Windows Serveur 2003
et 2008. Si on change, c'est parce que maintenir les versions
pour 2003 à un coup d'autant que Microsoft a annoncé l'arrêt de la
maintenance. »
Troisième syndrome : quand on est réfractaire au progrès technologique pour le progrès
technologique
A ce stade, vous noterez que ce point
est l'exact contraire du précédent. Il n'empêche que si on devait
faire des grosses évolutions de nos applications WS 2003 à passer à
WS 2008, on aurait tout intérêt à en profiter pour passer à WS
2012 pour tirer profit des évolutions et ne pas être emmerdés lors
de l'arrêt de WS2008 en 2020.
Mais laissons tomber ces considérations
technologiques...
Quatrième syndrome : quand on
déploie de nouvelles applications et que les utilisateurs demandent
une formation ou une documentation
Je parle bien entendu pour ce qui
concerne l'application et pas les processus qui vont avec. A partir
du moment où vous sortez des applications qui nécessitent une
formation ou une documentation pour les utilisateurs ou que vous
n'arrivez pas à convaincre le représentant des utilisateurs que ce
n'est pas nécessaire, c'est que vous avez foiré la
transformation numérique.
Récemment, on a mis en place un
système tout à fait moderne pour consulter les historiques des
transactions faites sur nos machines. Un type du « métier »
m'envoie un mail : « dis-donc,
Nicolas, quand est-ce que vous organiser la formation et livrez la
documentation. » Je lui ai répondu : « tiens,
voilà un lien, tu cliques dessus, tu tapes ton identifiant et ton
mot de passe, tu valides, un nouvel écran arrive, tu tapes le numéro
de client et la date de la transaction et elle s'affiche. Pour
passer à un nouveau client, tu tapes sur « nouvelle
recherche », voilà, lis l'écran. »
Je ne plaisante pas. J'en ai déjà
parlé et la plupart des cabinets de « conseil en numérique »
proposent une offre « d'accompagnement du changement ».
Ce sont des loosers.
Cinquième syndrome : quand
vous assistez à des conférences sur la transition numérique parce
que vous n'osez pas ne pas y aller.
Si vous êtes informaticiens, allez
plutôt à des conférences sur les technologies. Si vous êtes
décideurs, n'oubliez pas que ces conférences sont souvent
commerciales. Allez y pour le cocktail final.
Sixième syndrome : quand vous
prenez des consultants pour vous aider à choisir une stratégie pour
la transformation numérique.
Vous pensez vraiment que des
consultants « en stratégie » ont la moindre idée de ce
qu'est la transformation numérique appliquée à votre métier ou à
votre filière ? Faites-vous inviter à déjeuner par leurs
commerciaux et écoutez ce qu'ils ont à vous dire et vous en saurez
assez.
Ensuite, prenez des consultants
normaux, parce que vous avez une surcharge d'activité et que c'est
toujours utile d'avoir une vision extérieure.
Septième syndrome : quand vous
pensez faire une transformation numérique sans modification des
processus.
Cela signifie que vous confondez
transformation numérique avec une transformation informatique qui
peut être utile pour de nombreuses raisons : obsolescence
technologique, coût de maintenance, performances, nouvelle offre
commerciale,...
Méditez bien sur la locution :
« modification des processus ». Quand votre banque met
votre relevé de compte à disposition sur votre serveur web, c'est
une transformation numérique car ils n'ont plus besoin de l'imprimer
et de l'expédier et vous n'avez plus besoin de l'archiver dans
un classeur. Par contre, c'est une relativement petite transformation
informatique (la banque sait envoyer un fichier pour que
l'imprimeur... l'imprime, il n'y a plus qu'à en faire un pdf et le
stocker en ligne, dans le cloud, comme on dit).
Huitième syndrome : quand vous
restez persuadés que la transformation numérique est un truc du
21ème siècle.
Cela fait trente ans, à peu près, que
je consulte mes comptes bancaires en ligne. C'était grâce au
Minitel. Le Minitel a permis une transformation numérique parce
qu'il a permis une modification des processus.
Pour en revenir au syndrome précédent :
quand internet est arrivé et que les banques ont pu faire des sites
web pour permettre aux clients de faire des opérations de base,
c'était une gigantesque transformation informatique mais pas du tout
une transformation numérique : les processus étaient possibles
avec le Minitel.
Le seul aspect un peu « numérique »
est que les banques ont été obligées d'y passer pour ne pas être
à la traîne par rapport à leurs concurrents.
S'il y a aujourd'hui une volonté
d'accélérer la transformation numérique, c'est parce que les
conditions technologiques la rendent indispensable.
Neuvième syndrome : quand vous
accompagnez vos évolutions de processus de formulaires papier sans
valeur contractuelle.
Je ne plaisante pas ! Tiens !
Même au sein des DSI, on croule sous les paperasses même si elles
sont transmises en pdf par mail.
Dixième syndrome : quand vous
n'avez pas fait votre transformation numérique au sein de vos
services internes.
C'est directement l'exemple du point
précédent qui m'inspire celui-ci... Dans les DSI, nous sommes des
acteurs de la transformation numérique de l'entreprise mais on ne se
l'applique pas à nous. L'autre jour, on avait un client qui voulait
une copie du procès verbal d'homologation d'une version de logiciel
sans même se rendre compte que les outils modernes permettent de
gérer tout ce bordel sans produire de PV.
C'est malin d'ajouter un syndrome en
cours de rédaction d'un billet structuré à l'avance, ça va me
faire 13 points. Ca porte malheur.
Onzième syndrome : quand vous
faites des expérimentations vouées à l'échec
Tiens ! Je parlais hier de Monéo.
Une expérimentation grandeur nature. Le numérique est un truc
relativement compliqué, pas simple du tout à mettre en œuvre et on
ne sait jamais ce qui marchera ou pas. On est donc incités à faire
de l'innovation technologique pour montrer qu'on est modernes et pour
être sûrs de ne pas louper une vague.
Il faut voir le nombre d'heures perdues
pour des trucs qui seront peut-être des formidables percées
technologiques mais qui n'auront aucune retombée commerciale.
Douzième syndrome : quand vous
pensez que la normalisation et le respect des standards n'est pas
important.
C'est probablement le point le plus
important. Un des syndromes, par exemple, est de tolérer une
application qui ne fonctionne qu'avec la dernière version de Chrome
mais pas la dernière d'IE ou de Firefox... J'aurais plusieurs autres
exemples à donner mais j'ai la flemme.
Le respect des standards est ce qui
permet de garantir l'évolutivité.
Treizième syndrome : quand
vous avez une liste fermée de fournisseurs
La plupart des grosses entreprises ont
des listes fermées de fournisseurs de logiciel, de prestations
informatiques ou de prestations de conseil. Comment voulez-vous
innover dans ce contexte ? Comment travailler avec des « start
up » ? Comment voulez-vous mettre en concurrence ?
C'est la première erreur des DSI...
Comment faire de la transformation numérique si les achats et les RH
verrouillent tout ? Et j'aurais pu ajouter "la sécurité".
Ah, je lis toujours!
RépondreSupprimerLes conseils en stratégie numérique ou autres proposent un accompagnement du changement pour facturer des prestations, et les clients les acceptent parce que ça passe dans le budget formation. Les utilisateurs métier n’apprennent rien pour leur qualification personnelle, mais ça leur fait des vacances et l'occasion de revoir la petite blonde qui avait été mutée dans un autre service.
Ben oui, mais c'est donc un échec...
SupprimerVous confondez deux mots, je crois : syndrome et symptôme…
RépondreSupprimerNon. Je me suis posé la question en rédigeant. Chaque cas est bien une maladie en soi et composé de plusieurs symptômes. En gros, j'ai treize maladies différentes qui nuisent à la bonne santé du numérique.
SupprimerPar contre je n'avais pas vu la faute dans le titre : syndrone !
SupprimerDans ton dernier paragraphe tu n'as pas cité un acteur important du blocage des listes de fournisseurs, la cellule juridique (pour les organisations qui en ont une). Et là, il y a du sport vu que les juristes se basent par construction sur le passé;; jurisprudence toussa;;;;
RépondreSupprimerLes "achats" sont des juristes.
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