Il est toujours surprenant d'observer le coût de l'informatique
dans les grandes entreprises, que cela soit pour la maintenance
évolutive ou les projets. Le « numérique » est bien
trop souvent le prétexte à de nouvelles dépenses. Essayons d'en
trouver des raisons.
La première : la routine
Les gens « du métier » de l'entreprise expriment des
besoins et les informaticiens acceptent. Le métier aurait tort de se
priver puisque cela marche, tout comme l'informatique qui justifie
son budget ou ses factures si les développements sont externalisés.
Alors le guignol comme moi dit : hé ho, on n'a pas de sous pour
faire ça, ce n'est pas indispensable et il y a d'autres priorités.
Généralement il perd car il est moins nombreux que les autres et ne
tient pas à se fâcher avec eux ou à aller voir le grand patron ce
qui nécessiterait d'expliquer le truc à un tas d'échelons
hiérarchiques.
C'est ainsi qu'on se retrouve avec un tas de développements
informatiques inutiles et des factures incroyables tout en ayant de
gros manques dans le système d'information parce que le guignol
comme moi n'a pas réussi à imposer son point de vue voire a eu la
flemme de le faire.
Je vais donner un gros exemple en le caricaturant volontairement :
Moneo, le porte-monnaie électronique développé à la fin des
années 90. Les "métiers" dans les différentes banques
ont imaginé ce truc et ne se disant que c'est vachement bien. Les
informaticiens ont vu un truc génial, nouveaux. Vous ne pouvez pas
imaginer le coût de ce truc ! Des dizaines de millions d'euros,
voire des centaines !
Moi, le guignol dans le bureau d'à côté, je disais : vous êtes
fous. Ca va coûter une fortune, vous feriez mieux de changer le
système de paiement par car pour qu'on puisse faire des paiement de
petits montant sans saisir de code confidentiel. Ca ne coûterait
presque rien au niveau informatique.
L'avenir m'a donné raison. D'ailleurs, quinze ans après, avec
l'apparition des cartes sans contact, ils l'ont fait. Quinze ans de
retard.
Je répète : mon exemple est caricatural. Mais dans une grande
entreprise, ce sont des dizaines ou des centaines de projets de
quelques dizaines de milliers d'euros qui qui sont lancés
inutilement... Une partie de mon job est déjà les arrêter à
temps.
L'autre jour, j'étais en "comité projet". Le chef de
projet est un collègue à moi moins expérimenté, ancien
informaticien en SSII donc habitué au lancement de projets inutiles
parce qu'il gagnait de l'argent avec. Les gens du métier
participaient. Un d'entre eux me rappelle que je n'ai pas pris en
compte une demande or il avait été décidé que.elle serait étudiée
plus tard ce dont il n'avait pas encore été informé. On avait
trouvé des prétextes pour retarder la chose mais la demande était
tellement conne et inutile qu'on espérait qu'il allait oublier.
Mon collègue, sentant bien une sorte de gêne, mon collègue dit
qu'il allait s'en occuper. La réunion se termine. Je vais dans une
autre et reviens à mon bureau une heure après. Le gars du métier
avait envoyé une copie de sa demande initiale et mon collègue avait
organisé une réunion de cadrage. Tous les deux croyaient bien
faire. Mon collègue est habitué à accepter les demandes des
clients. Il a été payé pour ça pendant des années...
La routine !
La deuxième : la non prise en compte du coût et
d'organisation
L'autre jour, un informaticien chez un client me signale un
problème potentiel. Je suis d'accord avec lui et soumet le cas au
fournisseur du logiciel. Hier, il me fait une proposition de
contournement. Je demande au client, l'informaticien et le métier,
si la solution proposée est satisfaisante. Le métier me dit « OK ».
L'informaticien réponde « si le métier est OK, c'est OK pour
moi. » On se retrouve dans la routine ci-dessus. Il rajoute :
« La documentation mise à jour en fonction sera livrée
quand ? Et on pourra commencer l'homologation du logiciel à
quelle date ? »
Ils ont totalement zappé le fait qu'une modification du logiciel
avait un coût. Enervé, j'ai répondu sèchement que j'allais
demander officiellement le devis au fournisseur, estimer nos charges
d'intégration et d'homologation, vous demander d'estimer les vôtres,
établir un dossier de deux ou trois pages et le soumettre à la
direction puis au Comité de pilotage.
Dans les grandes DSI, ils ont une enveloppe globale pour la
maintenance évolutive et ont pris l'habitude de faire les petites
évolutions sans se préoccuper du coût.
La troisième : la mauvaise répartition des rôles entre
le métier et l'informatique ou la déconsidération du rôle de
maîtrise d'ouvrage
Je reprends l'exemple de mon collègue qui lance un dossier que
j'avais enterré. Le métier avait commis l'erreur habituelle, celle
qui coûte si cher, est d'avoir présenté une expression de besoin
informatique et pas une expression de besoin tout court. Revenons à
Monéo. Le métier n'a pas dit « on veut
un moyen de paiement sans code confidentiel et sans signature pour
limiter les manipulations d'espèces et toucher un peu de
commissions ». Il a dit : « on
veut un porte-monnaie électronique. » Et la technologie
sans contact arrivant 15 ans après, il a dit « je
veux pouvoir faire un paiement de petit montant sans code et sans
signature en mode sans contact ».
Il a mélangé trois problèmes :
- le développement de la puce puis du sans contact
- le volet juridique du paiement de petit montant sans code et
sans signature,
- volet commercial (le coût du service pour le client ou le
commerçant).
Il n'aurait pas du imposer à
l'informatique le moyen. Il aurait fallu une couche intermédiaire
pour dégrossir le sujet et la couche intermédiaire aurait dit :
« bon ben les gars, si on utilisait les
terminaux et les cartes actuelles, hein ? Ca coûterait moins
cher, non ? »
La quatrième : l'absence d'avant projet efficace et la
précipitation
Tout est dit dans la section précédente. Deux fois la même
erreur car on ne se pose pas autour d'une table pour bien décomposer
le sujet.
La cinquième : l'excuse du numérique ou le Digital
Washing
En quoi consiste la transformation numérique dans cette histoire
? Le sans contact ? Tu parles ! Ca n'est qu'un gadget. La vraie
révolution est le paiement par carte sans code et sans signature,
autorisé jusque là uniquement pour les autoroutes car les sociétés
acceptent de payer en cas de carte volée. Les gens du marketing (le
métier) étaient contents. Ils avaient un nouveau service à
proposer aux clients et aux commerçants. Les gens de l'informatique
étaient contents. Ils ont trouvé de nouveaux trucs à vendre aux
banques.
Le paiement sans contact est du Digital Washing.
Monéo est du Digital Washing avant
l'heure. Les lascars ont dit : hé ho, c'est génial, on va
pouvoir stocker de l'argent dans une carte à puce et payer avec.
Mais qu'est-ce qu'on en a à cirer ? Ce qui faut, c'est payer
des petits montants avec une carte, j'insiste : sans code. Et
accessoirement, ne pas avoir une ligne sur son relevé de compte à
chaque fois qu'on prend un café à 30 centimes dans une machine...
La sixième : l'absence de
stratégie globale
J'avais déjà fait un billet pour dire
qu'une des raisons de l'échec de Monéo et que ces ânes n'avaient
négocié avec la mairie de Paris pour que Monéo puisse être
utilisé sur les parcmètres dès le lancement des deux projets à la
même époque. Mais je suis presque hors sujet.
Si vous trouvez une place de parking
libre et que vous n'avez plus de sous dans votre Monéo ou votre
carte de stationnement, vous êtes emmerdés. Il faut recharger le
Monéo ou acheter une carte. Comment recharger un Monéo si vous
n'avez pas de borne de rechargement à côté. Vous êtes coincés.
Je vais donc raconter une anecdote
archi confidentielle : les ânes de Monéo n'ont pas pensé que la
meilleure borne de rechargement pouvait être un distributeur de
billets et ils ont conçu une technologie, pour la puce, incompatible
avec celle des distributeurs. Voila pourquoi on ne peut pas recharger
(sauf exceptions non conformes, à l'époque, à la réglementation)
de Monéo sur les GAB...
Il a fallu investir des sommes
incroyables pour le rechargement... alors que le projet était bien
sur les rails.
Voila
Je vais donner deux conseils aux chefs
d'entreprise.
Le premier : formez bien vos
équipes d'informaticiens (les développeurs mais aussi les
intégrateurs de solutions externes) à refuser tout projet s'il
n'est pas financé et validé par des « instances
supérieures ». Quand les banques ont lancé Monéo, les PDG
des banques auraient dû se réunir en personne... Mais j'ai bien dit
que j'avais pris Monéo pour caricaturer. L'important porte surtout
sur les centaines ou milliers de petits développements informatiques
qui sont réalisés sans le moindre contrôle.
Le deuxième : mettez en place des
équipes dédiées pour ce qui touche à l'évaluation des projets.
Au boulot !
Ton excellent billet va au delà du projet informatique. C'est du projet tout court.
RépondreSupprimerJe reprends ton point 3 qui est une de mes marottes professionnelles. L'expression de besoin fonctionnelle, quand on mélange besoin et outil.
Merci.
SupprimerJe dirai plutôt l'avant projet. C'est presque le plus important. Pas plupart que hier soir, avec mon directeur, on a fait faire des dizaines de milliers d'euros économie à un projet en suggérant à la maîtrise d'ouvrage de changer son expression de besoin pour une petite connerie. Ils avaient proposé un truc parce qu'il croyait que cela serait plus facile pour nous mais ils sortaient du standard. Les premiers informaticiens à avoir planché sur le sujet n'avaient pas vu la faille.
Très beau post !!
RépondreSupprimerJe vais arrêter de lire tes trucs sur l'informatique, je suis à la retraite et tu me ramènes 5 ans en arrière au boulot. Je vois que çà n'a pas changé depuis mon départ, et comme c'était déjà comme çà il y a vingt ans, je ne crois pas que tu changeras grand chose. Courage
RépondreSupprimerBah !
SupprimerComme tebruc, j'ai baissé le rideau professionnel après des dizaines d'années dans les projets informatiques mais toujours côté maîtrise d'ouvrage.
RépondreSupprimerJe partage ta vision et je te livre mes conclusions;
Un invariant est l'incapacité des maîtrises d'oeuvre à faire passer le Quoi avant le Comment.
De plus les DSI se font épauler (enfler ?) par des consultants qui ont des solutions...
Et on en arrive au schéma classique "Solution cherche Problème" ce qui coûte horriblement cher pour au final ne servir à pas grand chose....
De plus certains acteurs MOA sont atteints de la même vérole en décrivant dans leur cahier des charges des solutions en long en large et toujours de travers.
Mon plaisir dans le job était de demander "Au fait c'est quoi le problème" et de renvoyer les demandeurs à la case départ ...
Les projets grands ou petit, y compris ceux des pouvoirs publics, sont voués à l'échec dès lors qu'ils ne sont pas l'expression d'une vraie demande.....
Une chose est certaine, l'éducation actuelle fabrique des gens qui pensent comment et de moins en moins quoi. L'esprit critique est dangereux donc nos utilisateurs, demandeurs, mandants vont s'enfoncer vers des échecs de plus en plus couteux.
De temps à autre, un râleur, (genre frisé amateur de houblon) arrive à faire que tout ce beau monde (DSI et MOA) redescende sur terre (atterrissage douloureux) et on peut mener un vrai projet à terme.
Pour mener mes travaux à bien, je prenais l'image de la construction d'un maison et la métaphore permet aux MOA de mieux comprendre leur rôle et parfois de bien tenir leur rôle....
Nicolas, tu as encore de belles séances de rigolades (car il vaut mieux en rire qu'en pleurer) devant toi.
Bon courage quand même et bravo pour ce bobyié...
Merci !
SupprimerTu dis des choses vraies dans ton commentaire. Mais je vais revenir sur certains points.
"Une chose est certaine, l'éducation actuelle fabrique des gens qui pensent comment et de moins en moins quoi." oui et non. C'est aussi l'informatique qui est ainsi : les gens sont payés pour faire ce qu'on leur demande.
"De plus les DSI se font épauler (enfler ?) par des consultants qui ont des solutions..." Non, il y a de bons consultants. Tant pis pour mes chevilles : je l'ai été et j'en rencontre toujours.
"Un invariant est l'incapacité des maîtrises d'oeuvre à faire passer le Quoi avant le Comment." c'est aussi le cas des "métiers", c'est le phénomène que je décris dans le billet. Du coup, les maîtrises d'oeuvre (et d'ouvrage) ne sont plus intéressées par le "quoi" alors qu'ils ont des solutions techniques à apporter.
Nicolas, les consultants comme toi qui privilégient la réussite du projet sont moins nombreux que ceux qui (sous la pression infecte de leur propre hiérarchie) sont priés de générer du chiffre au-delà de la mission pour laquelle ils interviennent. D'expérience, je dirais deux qui poussent au chiffre pour un qui est centré sur le projet.
SupprimerDans ton cas, je n'ai aucun doute, car tu es un humaniste et pas un homme d'argent ou d'appareil
Quand à l'éducation, je pensais plus à la formation des utilisateurs (non informaticiens), qui devraient eux avoir l'esprit critique et savoir ce qu'ils veulent, puisque c'est eux qui vont le financer puis l'utiliser...
Globalement on est en phase.
Et Joyeuses Pâques.
Pareil.
SupprimerPour les consultants, outre le fait que tu te trompes sur mon compte (c'est en faisant bien le boulot qu'on génère du chiffre d'affaire en faisant durer les missions), ce que tu dis est valable pour certains consultants "haut de vol" proche des directions.
J'aurais d'autres trucs à dire sur les consultants, comme profiter du travail des autres...
Je me sens obligé de répondre à ElZede. Les consultants sont aussi honnêtes et compétents que les informaticiens. Et leurs hiérarchies ne sont pas plus infectes que les hiérarchies de toutes les organisations.
SupprimerQuand un projet ou une solution est proposée par un consultant, c'est souvent parce que le responsable dont il dépend chez le client est lui même impliqué dans ce projet ou cette solution. Si le consultant ne le suit pas, il est viré du client le lendemain, déclaré incompétent et sa hiérarchie convoquée. Qu'il le fasse 2 fois, et il peut commencer à chercher un autre boulot.
Dans 90% des cas, le consultant est là pour proposer une solution que le client a déjà choisie, mais qu'il ne veut pas présenter lui-même en interne.
Non, pas 90%... Mais tu as raison : le consultant est souvent manipulé par le client. Il m'est arrivé de faire une étude statistique (avec des vrais chiffres
Supprimer!) qui allaient à l'encontre de ce que pensais mon chef et qu'il voulait que je démontre (le gars était sympathique et a admis son erreur mais je n'étais pas fier de moi).
Plusieurs fois,on m'a demandé de faire des présentations PP avec des éléments sur lesquels je n'étais pas d'accord.
Nicolas, je crois qu'il y a dans le commentaire de tebruc matière à un autre bobyié sur les patrons de DSI et l'art d'utiliser les Consultants. Qui manipule qui, qui assume ou pas ses choix face à une Direction Générale... Quand on regarde ça de près on y voit toutes les faiblesses de l'âme humaine. Si ça ne coutait pas aussi cher aux boites, on pourrait en rire.
SupprimerL'un des chapitres les plus drôles est le dépouillement des réponses à appel d'offres, où le Cabinet (tebruc , je ne m'en prend pas aux consultants, car ils font honnêtement leur job) cherche à savoir quel est le montant facturable susceptible de passer .. sachant que le chiffre retenu par le client sera régulièrement explosé pour cause de Cahier des Charges mal ficelé (cf. les propos de Nicolas).
Sur ce je vous laissent, je suis en retard pour aller à Rome faire la cloche. ;-)
Peut être à l'occasion.
SupprimerCe billet est nin. Les commentaires intéressants, la discussion chouette à suivre...
RépondreSupprimerFélicitations sincères pour ta série de billet sur le sujet professionnel...
Merci.
SupprimerMais si je fais des billets nin maintenant...
Ca te change ^___^
SupprimerAndouille.
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